Le journaliste

Irène Damiano, vous êtes l'avocate de la famille Binet

Vous êtes aussi la présidente de l'association des avocats praticiens du droit social des Alpes maritimes entre autres fonctions :

vous portez plainte, aujourd'hui, selon une série de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral. Quels sont ces faits ?

L'avocate

Et bien ce n'est pas tout à fait aujourd'hui que nous avons déposé cette plainte mais déjà il y a quelques mois et nous sommes partis, de façon assez exceptionnelle d'ailleurs, sur la base de la lettre qu'a laissée Vicky Binet et qui a été diffusée dans et hors de l'entreprise.

Cette lettre-là révèle de façon extrêmement chronologique une série de faits qui tous peuvent être des éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement moral. C'est à partir de ces faits que nous avons travaillé et, chose encore plus exceptionnelle d'ailleurs, nous sommes en mesure d'étayer ces faits par la production de certains documents qui étaient entre les mains de Vicky Binet parce que précisément elle avait fait en sorte, peu de temps avant, de se les adresser à elle-même comme une preuve supplémentaire de ce qu'elle pouvait dire dans cette lettre.

Nous avons donc livré ces éléments au doyen des juges d'instruction qui les examinera, bien entendu, au contradictoire de l'entreprise.

Le journaliste

Dans une affaire, bientôt devant les juges, on peut le supposer, un suicide au travail c'est une chose... rare ?

L'avocate

Et bien, écoutez... malheureusement, dirais-je, c'est de moins en moins rare puisqu'on a toute une série de décisions qui ont évoqué des suicides au travail,

- suicide de salariés ayant appris leur futur licenciement,

- suicide de salariés en difficulté avec leur direction

et qui toutes ont permis d'approcher une notion d'accident du travail quelque peu différente de la notion traditionnelle :

"fait se rapportant au travail, sur les lieux, au temps du travail" et c'est précisément à travers de ces cas forts et bien entendu dramatiques, que nous allons vers une notion plus large qui fait que, aujourd'hui, on va considérer que le lieu de travail n'est pas une nécessité, que une série d'événements, les uns derrière les autres, peuvent entraîner une situation avec une notion d'accident du travail.

Ce qui fait que, en réalité, ce qui faisait la différence un peu entre accident du travail et maladie professionnelle - la maladie professionnelle étant finalement le fait que l'entreprise elle-même génère la maladie - est en train de se rétrécir véritablement.

Le journaliste

C'est en fait, j'allais dire, ce bras de fer qui va être engagé entre ceux qui portent plainte et là il s'agit de la famille de la défunte et cette entreprise, peut paraître passionnant d'un point de vue juridique parce que les frontières en la matière, là je parle d'un point de vue simplement légal, sont encore floues, encore à définir... Que dit la loi en matière de harcèlement moral ?

L'avocate

Le salarié ne peut subir d'agissements répétés de harcèlement moral, lesquels sont définis comme ayant pour objet ou pour effet, une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. C'est donc au travers de ce terme-là qu'on décline tout ce qui nous est révélé par Vicky Binet.

Et nous n'avons jamais dit, et là encore il faut être précis, nous n'avons jamais dit - le suicide est chose grave - que l'entreprise était bien entendu seule responsable de ce geste-là.

Nous disons simplement que la loi n'exige qu'un rapport avec les conditions de travail susceptible de et je dirais que la direction, elle-même, lorsqu'elle a réagi au suicide, avait dans un premier temps, au terme d'un mail interne, reconnu la cause professionnelle pour partie du suicide de Vicky Binet.

Aujourd'hui, il semble qu'elle n'en soit plus d'accord. C'est dommage parce que je crois que M. Binet, lui-même, aurait souhaité que l'on ait un regard un peu différent sur la situation provoquée par le décès de son épouse et que l'on puisse essayer de voir les choses avec un peu plus de sérénité.

Cela signifie simplement, faire la transparence sur ce qui se passe au sein de cette entreprise-là, vérifier si c'est possible au sein d'Amadéus au travers de ce que décrit Mme Binet.