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André Binet

Le journaliste

Le 25 janvier dernier, André Binet, c'est un jour où votre vie aussi bascule, votre femme avait marqué sur son emploi du temps, sur son agenda je crois, juste un mot : "SAUT".

André Binet

Ma première réaction c'est de dépasser ce geste et de l'élargir, c'est-à-dire que, j'ai envie de dire ou de crier :

"plus jamais ça"

même si on sait que ce n'est pas possible mais mon épouse, en se suicidant avait choisi de rendre public un problème professionnel et elle a laissé 4 pages incriminant son entreprise et ses difficultés à vivre dans l'entrerprise et elle a par ailleurs, écrit bon nombre de lettres à des amis ou à son responsable des ressources humaines... et elle avait écrit entre autres aux représentants du personnel en leur demandant de poursuivre, et qu'elle souhaitait que son geste soit utile et serve à quelque chose.

Donc aujourd'hui, ma réaction est bien celle-là, c'est de dire ... par exemple, j'ai une réponse de l'entreprise m'expliquant qu'on était dans la norme, qu'il n'y avait pas plus de gens mal dans leur peau à Amadéus qu'ailleurs et que par exemple Vicky était une personne intellectuelle et créatrice donc, c'est normal qu'elle ait des états d'âme.

Donc des choses comme ça, moi personnellement, je pense que même s'il n'y a qu'une personne qui souffre, ça en fait déjà une de trop.

Donc mon souhait aujourd'hui, et si j'ai participé à une émission comme la vôtre, c'est que les gens pour qui ça a un écho, puissent se dire : "il faut que j'aie le courage de ne pas me laisser emporter par une spirale qui pourrait m'amener à un geste comme celui de Vicky."

Le journaliste

Alors vous avez été obligé de remonter, j'allais dire, dans son parcours et d'essayer de comprendre que la vérité, en quelque sorte, le processus, le lent processus d'exclusion dont elle a été la victime, ça a commencé comment ?

André Binet

Disons que la découverte, elle est très fine, et elle est de plus en plus précise. Il y a même des choses que je découvre maintenant et que j'ignorais avant. Mais si vous voulez, je dirais que c'est assez classique, c'est presque un problème de culture. C'es-à-dire on est dans une entreprise où il y a une culture de la performance. C'est normal, je dirais, si l'on recrute des cadres c'est parce qu'on a envie qu'ils travaillent c'est parce qu'on a envie que l'entreprise soit... ait de meilleurs résultats, de meilleurs produits, ainsi de suite...

Et Vicky au début, lorsqu'elle est entrée à Amadéus (ça faisait quand même plus de 10 ans qu'elle y était) c'était quelqu'un qui était tout à fait dans ce genre pour l'entreprise.

Il faut savoir que mon épouse, c'était quelqu'un, comme on dit, de précoce où.... l'entreprise lui a fait passer un test d'embauche, après 10 ans de présence, elle a obtenu des résultats qui sont, dans le guide d'utilisation du test, considéré comme impossible.

C'est-à-dire qu'elle a obtenu 98 % de bonnes réponses à la partie non verbale et 99 % à la partie mathématiques. Ça la classe dans un pourcentage... de cette excellence et au début, elle l'a mise en oeuvre sans aucun problème. Travaillant sur des projets un peu.... des trucs comme ça. Et la première rupture qu'il y a eu au niveau de l'entreprise ça a été lorsque, pour je ne sais plus quelle raison, il y a eu une note de service qui permettait au personnel de prendre un temps partiel.

Et Vicky, comme d'autres salariés, a demandé à prendre un temps partiel. Ce qui lui a été accepté puisque la mesure était destinée à tous les employés de l'entreprise. Et quand elle est retournée travailler dans son service, on lui a expliqué qu'un cadre de son niveau ne se mettait pas à temps partiel, que c'était contraire à l'éthique de l'entreprise. Et à partir de ce moment-là, il y a eu une première dégringolade.

L'autre chose aussi... Nous avons trois filles biologiques, et nous avions toujours eu le projet d'adopter un enfant et nous avons adopté un 4ème enfant et quand elle a fait savoir cela, on lui a expliqué, là encore que, bon c'était très clairement, en tant que femme, elle avait fait le choix de la famille et en tant que cadre, pas celui de l'entreprise et que donc, c'était très clair : elle ne pouvait pas à la fois s'occuper de sa famille et de l'entreprise.

Le journaliste

Donc en fait, votre réaction ? Vous décidez de commencer un travail de deuil ? De quelle manière ?

André Binet

Notre première réaction aux enfants et à moi, ça a été de souhaiter un deuil paisible. Et pas du tout d'être présent autour d'un micro de radio ou de chose comme ça.

Le journaliste

Vous n'avez pas eu le choix du deuil que vous vouliez très rapidement s'est transformé en un combat plus agité ?

André Binet

Oui, alors j'y ai été un peu contraint et très vite c'est devenu nécessaire, c'est-à-dire que quelque soit ce que vous puissiez faire, on se pose la forcément la question de dire : "mais est-ce que notre amour n'a pas suffi , est-ce que j'en ai fait trop, est-ce que j'en n'ai pas fait assez..." On se sent forcément coupable.

Et c'était donc ça, ça travaille.

Et au-delà de ce que je peux penser moi, il y a les enfants. Et pour les enfants je ne pouvais pas ...

Ne rien faire c'aurait été reconnaître que c'était uniquement un problème personnel... et que je voulais absolument... la part de la responsabilité de l'entreprise soit reconnue.

Bien sûr que ça peut pas être... c'est pas l'entreprise qui a tué... Le geste de Vicky c'est elle qui l'a décidé, c'est elle qui l'a fait. Bien mais elle l'a fait quand même d'une certaine façon qui n'est pas innocente.

Parce que, autant... deux jours après, l'entreprise avait laissé passer une annonce en disant : "pour des raisons professionnelles et pour des raisons personnelles, Vicky s'était suicidée" autant 3 jours après c'était : "Ah ben non, c'était un problème personnel, on ne veut pas s'occuper de ça !"

Donc je voulais... et on a eu la surprise, je dirais, heureuse, même si ça peut paraître paradoxal de voir que la sécurité sociale a reconnu l'accident de travail et c'est une première et de toute façon l'hésitation, - d'après ce que m'ont dit les médecins - a été entre l'accident du travail et la maladie professionnelle.

Donc de toute façon pour eux, il n'y a aucun doute.

Et c'est vrai que nous, ça nous a, malgré tout, allégés de savoir ça.

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