Harcèlement moral télémarketing
J'ai travaillé pendant presque 4 ans dans une
société où une catégorie d'employés,
dont je faisais partie, était isolée, ghettoïsée
et sous-payée.
Dans cette même société j'ai subi
du harcèlement moral pendant presque 2 ans.
Si je veux raconter mon expérience, c'est dans l'espoir qu'elle
puisse servir à d'autres personnes qui ont vécu une situation
de harcèlement moral, pour qu'elles ne répètent
pas mes erreurs et pour qu'elles sachent qu'il est toujours possible
de s'en sortir et de se reconstruire entièrement.
POUR DES RAISONS ÉVIDENTES LA SOCIÉTÉ
N'EST PAS NOMMÉE ET TOUS LES PRÉNOMS DES GENS CONCERNÉS
ONT ÉTÉ CHANGÉS.
J'ai commencé à travailler
pour la société Innommée en octobre 1998.
Ressortissante d'un pays de l'Union Européenne, j'avais à
l'époque la petite trentaine et j'habitais toute seule en France
depuis un an.
La société Innommée, petite entreprise de services
et conseil (mais filiale d'un grand groupe), m'offrait un CDD de 9 mois
dans sa cellule de télémarketing, pour un salaire très
proche du SMIC.
Le travail consistait en 7 heures par
jour, interrompues presque seulement par la pause déjeuner, d'émission
d'appels dans le but de réaliser des sondages ; naturellement on
avait des quotas quotidiens à atteindre.
Nous travaillions entassés à 10 dans une petite salle poussiéreuse
sans chauffage l'hiver ni climatisation l'été, à
la différence des bureaux confortables des salariés des
autres services.
Outre que mal payés, nous étions complètement exclus
de la vie de l'entreprise : non invités aux pots ni aux soirées
organisées pour les autres salariés, non convoqués
aux réunions, nous étions les seuls à être
vouvoyés par le responsable du service, dans une société
où tout le monde se tutoyait.
En plus la société n'offrait
que des CDD aux employés du télémarketing, pour les
exclure de tout bénéfice.
Les éléments de la cellule
qui l'acceptaient étaient ré-embauchés en CDD, après
une interruption d'une durée égale à un tiers du
contrat précédent : la société contournait
ainsi la loi qui oblige les employeurs à embaucher en CDI les salariés
qui ont passé 18 mois en CDD ou à s'en séparer.
Pour le directeur d'Innommée nous n'étions que des outils
(il l'avait dit texto pendant un briefing en réponse à
une télé-enquêtrice qui se plaignait du traitement
que nous subissions dans l'entreprise).
Benjamin, le responsable de la cellule âgé à l'époque
d'une trentaine d'années et sans aucune expérience en management,
manifestait des sympathies personnelles à l'égard de certains
collaborateurs et collaboratrices et sa manière, très différente
selon la personne, de traiter ses subalternes, n'avait aucun rapport avec
la qualité et la quantité du travail fourni.
Il manifestait un acharnement constant et inexplicable (fait de cris,
d'humiliations, d'insultes voilées et tout ça devant les
collègues) envers certains et une bonhomie qui permettait tout
(même la fainéantise complète) envers d'autres.
Envers moi, qui donnais vraiment le maximum pour mon travail (cela
fait partie de ma personnalité de me donner à fond et de
vouloir bien faire tout ce que j'entreprends professionnellement),
il était correct, mais il ne me louait presque jamais, ni semblait
donner d'importance à mes efforts.
Presque à la fin de mon contrat il me proposa un deuxième
CDD de 9 mois à partir du mois d'octobre suivant et ma première
erreur fut de l'accepter.
C'est vrai que le ghetto où la société enfermait
ses télé-enquêteurs me déplaisait, mais je
me disais que ce boulot n'était pas pour toujours et j'avais peur
de tout recommencer, seule comme j'étais dans un pays que j'aimais,
mais que je ne connaissais pas encore bien.
A mon retour en automne 1999, je travaillais avec la même ardeur
et les mêmes résultats, mais mon responsable considérait
de moins en moins mes efforts.
Il lui arrivait même de me répondre
mal sans raison, juste parce que, très lunatique, il était
de mauvaise humeur.
Il s'entendait bien avec deux employés - très soudés
entre eux, qui s'amusaient à tirer tout le petit profit possible
de leur situation en se moquant grassement de leur employeur dans son
dos - et il martyrisait deux filles faibles qu'il avait choisies comme
boucs émissaires.
Tous ses gens partirent, pour des raisons différentes, quelques
mois après.
Mais le grand faible de Benjamin fut une nouvelle arrivante, Séverine,
une jeune fille autant naïve et gentille que coquette et gâtée.
En peu de temps elle put tout se permettre : passer des heures dans le
bureau de Benjamin à papoter pendant l'horaire de travail, avoir
de résultats désastreux, arriver en retard en toute impunité.
Comme Séverine et moi avions sympathisé, je me plaignais
avec elle de ces injustices en lui expliquant que ce n'était pas
bien que les autres dussent travailler si durement, pendant qu'à
elle tout était permis, mais elle montrait un grand agacement à
mes remarques et n'acceptait aucun reproche.
Je commis ma deuxième erreur en février 2000 : je
demandai la prolongation de mon contrat jusqu'à la dernière
limite possible, mars 2001, en espérant d'avoir ensuite un CDI
de traductrice dans l'entreprise d'une connaissance, espoir qui tomba
à l'eau peu après.
Et la seule certitude qui me resta fut ce CDD prolongé, que Benjamin
s'était fait un plaisir de m'accorder, vu que j'étais la
plus travailleuse (et la plus exploitée) de la cellule.
A l'époque je vivais déjà dans le stress d'un travail
pénible et aucunement reconnu et, en travaillant d'arrache-pied,
j'avais du mal à supporter les injustices et les différences
de traitement dans la cellule.
Benjamin se vantait à voix haute de traiter différemment
ses employés, en prétendant que grâce à ses
connaissances psychologiques, il leur administrait un traitement adéquat
à leur personnalité.
Or, sur un lieu de travail cela est totalement arbitraire et déplacé,
d'autant plus que ses rapports avec ses employés étaient
dictés uniquement par ses sympathies et antipathies personnelles
;
cela m'était de plus en plus clair (comme à la plupart
de mes collègues) et son besoin de boucs émissaires
ainsi que de chouchous devenait inquiétant.
Je commençais à le connaître, mais dans ma bonne fois,
sensibilité et naïveté, je ne voyais pas encore en
lui le pervers narcissique, le malade, le tortionnaire qu'il était
en réalité.
Car cette partie de sa personnalité,
il ne la montrait qu'à ses victimes.
Pour ses collègues il était un brillant blagueur, pour ses
supérieurs un employé efficace et lèche-bottes, pour
ses préférées dans la cellule un homme gentil et
généreux.
Comme d'autre "malheureux" avant et après moi, j'aurais
connu, à mes dépens, le vrai visage de cette personne.
En juin 2000, un événement imprévu et imprévisible
se produisit et ce fut peut-être le déclencheur de la suite
:
Séverine obtint un CDI en qualité
d'assistante commerciale, grâce à un piston de Benjamin.
Pour moi c'était trop : voir quelqu'un qui ne travaille pas, qui
n'a pas beaucoup d'ancienneté, ni aucune expérience dans
le poste proposé, pourvoir ce poste au détriment des collègues
plus anciennes, sérieuses et travailleuses, dont je faisais partie,
fut la dernière goutte.
Je n'adressais plus la parole à Séverine, qui - selon mon
point de vue avait trop profité de la bienveillance du chef à
son égard - et je commençais à crier tout haut ce
que les collègues disaient tout bas :
piston, favoritisme, injustice !
D'habitude timide, réservée et même effacée,
j'affrontais mon chef en tête-à-tête et lui parlais
de ses favoritismes et ses injustices sans prendre de gants.
Etonné par mon changement soudain d'attitude, au début il
eut du mal à réagir, mais il reprit vite le dessus, en criant
qu'il faisait ce qu'il voulait, dont favoritismes et injustices, et que
cela le concernait.
Très sensible et un peu fragile, je sortis de son bureau en larmes
et lui fis la tête pendant quelques semaines.
Dans l'équipe il y avait des nouveaux membres, dont quelques-uns
uns qui seraient restés longtemps, par exemple Fabiana (ma compatriote)
et Denis (un jeune très fouineur et cancanier) qui semblaient
les 2 nouveaux boucs émissaires de Benjamin et puis Marica (une
jeune fille plutôt fainéante).
Entre l'été et l'automne Benjamin devint gentil avec moi,
il semblait avoir digéré mes accusations.
Il me donna des nouvelles tâches
d'assistanat qui flattaient mon ego, il me permit de travailler dans un
petit bureau vide à côté du sien au lieu de la salle,
et il m'avoua que la promotion donné à Séverine avait
été une grosse bêtise de sa part, vu que personne
n'était content d'elle dans son nouveau service.
Ma troisième et plus grosse erreur : je le crus. Aveuglée
par mon envie de reconnaissance et de justice, je m'étais mise
dans la tête qu'après avoir subi autant d'injustices, le
vent devait forcement tourner en ma faveur.
Sans m'apercevoir qu'il ne faisait que m'exploiter mieux et plus sans
aucune contrepartie, sans voir qu'il utilisait son pouvoir de manipulation
pour mieux m'asservir, je lui demandai de faire tout son possible pour
que je reste dans l'entreprise.
Il me répondit que oui.
Il lui arrivait de me parler mal de certains de ses employés, de
m'expliquer qu'il aimait les embêter, de me faire comprendre qu'il
les détestait.
C'était le moment ou jamais de fuir, d'ouvrir les yeux, de comprendre
que son comportement n'était pas celui d'un chef, car les sympathies
et antipathies personnelles sont humaines et compréhensibles, mais
elles ne doivent pas interférer dans le travail.
Je ne le fis pas ou mieux je ne voulus pas le faire.
Au contraire, consciente et avec la preuve
du fait qu'il agissait uniquement à la tête du client, je
lui fis confiance en pensant que cette fois-ci c'était moi qu'il
allait peut-être aider, se rattrapant sur ses injustices précédentes.
Deux filles, pas aimées au début, Fabiana et Marica, très
liées entre elles, essayaient par tout moyen d'attirer la sympathie
du chef pour en avoir des avantages, tout en parlant mal et en se moquant
de lui dans son dos, car tout le monde avait compris sa façon d'agir
envers ses employés.
Elle parvinrent à leur fin à
coup de lèche-bottes et de coquetterie et Denis resta la seule
bête noire. Les favoritismes recommencèrent de plus belle
: maintenant c'étaient elles qui pouvaient tout se permettre :
retards, absences, fainéantise (surtout Marica et de façon
scandaleuse).
Comme on était payé de l'heure
et que c'était Benjamin qui préparait les fiches de présence,
il se permettait toute sorte d'abus et d'injustice, en payant aux deux
filles la plupart de leurs absences.
Elles restaient longtemps dans son bureau à bavarder, rire, plaisanter
et faire des commérages (souvent sur les collègues),
pendant que les autres devaient travailler et qui étaient grondés
comme des écoliers au moindre écart.
L'ambiance dans la cellule devint morose : l'hypocrisie y régnait
dans tous les sens.
Au milieu de tout ça Benjamin s'amusait à diviser pour
mieux régner : il parlait mal des uns avec les autres, mettait
les collègues les uns contre les autres, empochait des cadeaux
de tout les monde et continuait à aider et à favoriser seulement
les gens qu'il aimait bien : c'est ça un manipulateur.
De mon côté, je ne supportais pas toute cette hypocrisie
et cette manière d'être double et je le disais clairement
à mes collègues.
Le coup de grâce arriva quand le chef m'annonça très
gentiment qu'il avait trouvé la manière de me faire rester
dans l'entreprise : il me proposait un contrat CDI en qualité télé-enquêtrice.
Comme c'était la première fois que cela arrivait dans la
société, il pensait peut-être que cela m'aurait enorgueillie,
car mes résultats avaient convaincu le DG à lui concéder
un CDI au télémarketing, mais je ne manifestai ni joie ni
reconnaissance : au contraire je lui dis carrément ce que je pensais
de ce poste et je lui rappelai qu'il avait aidé d'autres personnes
mais pour moi il voulait juste poursuivre l'exploitation et à
temps indéterminé.
Il se vexa, se fâcha et ce fut probablement
à ce moment là qu'il commença à me détester.
En automne 2000 un sondage trimestriel du soir avait commencé :
on devait travailler jusqu'à 21 heures pendant 2 ou 3 semaines
et les heures du soir nous étaient payées un peu plus.
Benjamin me proposa de superviser le sondage du soir sans aucune rémunération
supplémentaire par rapport à mes collègues et j'acceptai.
Mon idée de voir les injustices réparées continuait
à m'obséder, je pensais toujours pouvoir obtenir un poste
plus important en montrant mes capacités et mes compétences.
Pour cela aussi je n'avais pas encore dit "non" au projet de
CDI : j'espérais décrocher un poste intermédiaire
entre télé-enquêtrice et assistante de Benjamin.
Je pêchais beaucoup de naïveté et de confiance.
Mon responsable devenait de plus en plus antipathique avec moi, mais alternait
encore ces périodes de mauvais traitement à d'autres, où
il se montrait plus gentil.
Je commençais à perdre mes repaires, à culpabiliser.
Je me disais que c'était de ma faute s'il s'énervait
avec moi, que je ne savais pas m'y prendre, que je ne savais pas le ménager.
Comme j'essayais de négocier mon CDI, Benjamin, commença
à me maltraiter sérieusement.
Il faisait la tête du matin au soir, à chaque fois que je
lui adressais la parole pour des raisons professionnelles il me répondait
mal, il me dit plusieurs fois et pas à mots couverts que je
n'étais rien et ne valais rien. Il débutait ses phrases
par : " Ce n'est pas pour vous rabaisser, mais
"
Il commença à mettre des collègues, notamment ses
préférées, contre moi. Il faut dire que je lui facilitais
la tâche : j'étais trop franche envers elles qui étaient
très jalouses de mes prérogatives de formatrice de nouveaux
enquêteurs et de superviseuse du sondage du soir.
Lasse d'être si maltraitée et dans le seul espoir et but
d'améliorer les rapports dans la cellule, j'offris à tous
mes collègues et à mon responsable des cadeaux de Noël.
Cela apporta une trêve, hélas, très courte.
En janvier et février les négociations pour mon CDI reprirent
de plus belle.
Tout ce que je pus obtenir, ce fut la reconnaissance de mes tâches
de formatrice et traductrice de sondages, dont toutefois je n'aurais pas
eu l'exclusivité dans la cellule, et un salaire net de 6300 F,
une vraie misère ( en CDD avec les congés dedans je touchais
presque 6700 F).
Mais chaque entretien de négociation était un calvaire,
où Benjamin me menaçait
" c'est ça ou la porte "
et il avait commencé par me proposer 5800 F net !,
me faisait peur
" quand vous irez de porte en porte pour demander
de l'emploi et que tous vous auront dit non, on en reparlera ",
me rabaissait constamment
" vous ne travaillez pas mieux que
les autres ",
" vous devriez me remercier au lieu
de vous plaindre "
et me faisait la morale
" il faut que vous appreniez à
vivre avec ça : pas de dépenses superflues, pas de chaînes
câble ou satellite pour la télé, par exemple "
!
En outre, en dehors de ces occasions, il ne manquait pas de m'humilier
" faites marcher votre cerveau ",
dit tout en faisant tourner l'index à
côté de sa tempe, de m'insulter
(" vous êtes paranoïaque "
pour justifier ses favoritismes et de me
défavoriser - pendant le sondage du soir du mois de février
- , il paya des heures d'absence pour maladie à Marica et pas à
moi.
Il utilisait ses notions de psychologie pour me confondre, me culpabiliser
et me faire peur.
Il profitait du fait que j'étais une femme toute seule pour m'intimider,
même si dans ses discours farfelus il se contredisait souvent.
Presque à chaque fois qu'il me parlait son visage était
sombre et fermé et sa voix dure.
C'était étonnant de voir comme son expression faciale
se modifiait quand il s'adressait à moi après avoir parlé
à une de ses chouchous :
de souriant, lumineux, sympathique, ouvert,
son visage devenait en une fraction de seconde renfrogné, fermé,
dur, le regard coupant.
Sensible et anxieuse, j'absorbais tout ça comme une éponge
et je vivais les rares moments où il se montrait gentil avec moi
comme des cadeaux du ciel.
C'est fut à ce moment là que je pris l'habitude de lui écrire
de mails soit pour négocier mon contrat, soit pour lui exprimer
ma pensée sur d'autres sujets : cela me permettait de communiquer
avec lui sans avoir à l'affronter.
Dans ces mails, qui restèrent peu nombreux (une vingtaine en
un an et demi de temps), j'étais toujours polie, respectueuse
et gentille et je montrais une forte volonté d'arranger les choses,
de travailler dans les meilleures conditions et dans la meilleure ambiance
possible pour tous.
Mon responsable ne répondit à aucun de ses messages et ne
me reparla d'aucun sans être relancé.
Au mois de mars j'acceptai le CDI.
J'avoue que ce fut là ma dernière
et plus grave erreur.
Mais après avoir tant donné
à la société Innommée, je voulais en faire
vraiment partie, y être intégrée, je pensais encore
naïvement qu'un CDI aurait pu m'ouvrir les portes de la reconnaissance
et plus tard d'une promotion.
Naturellement je rêvais.
A force d'entendre répéter
par Marine, la déléguée du personnel et secrétaire
du DG, que la condition d'infériorité des télé-enquêteurs
dans l'entreprise était due au fait d'être en CDD, je pensais
que passer en CDI aurait changé les choses.
Mais non, avec une grande déception, je dus comprendre une fois
pour toutes que notre situation était due à la fonction
occupée dans l'entreprise.
Pour moi rien ne changea, à part le fait que j'étais maintenant
invitée aux deux soirées annuelles organisées pour
les salariés de la société, mais seulement parce
que je l'avais demandé ouvertement.
A partir de mon passage en CDI ma situation empira.
Benjamin n'était jamais content de mon travail, que pourtant je
continuais de faire comme avant. Il me reprochait de prendre mes pauses
(15 minutes le matin et 15 l'après-midi) qu'à ses dires
je ne prenais pas quand j'étais en CDD et me menaçait
de licenciement.
Les ragots me concernant, à cause de la connivence entre
mon chef et Marica et Fabiana aidées par le cancanier Denis (qui
s'entendait bien avec elles) allaient bon train :
on disait que j'écoutais aux portes, que
j'étais jalouse de mes collègues, que j'étais jalouse
de Séverine et on jasait sur ma vie privée, parce que, à
part une parenthèse de quelques mois en 2000, j'avais toujours
été célibataire depuis que je travaillais chez Innommée.
Tout cela fait partie du harcèlement morale, parce que c'est bien
de cela qu'il s'agit de manière claire depuis mon passage en CDI.
Si avant on pouvait parler de sauts d'humeur d'un personnage très
lunatique qui ne m'aimait pas ou des tentatives d'écraser mes protestations
franches pour continuer de se comporter en tyran arbitraire, maintenant
il s'agit de vrai harcèlement moral de la part d'un pervers
narcissique dont je suis devenue le bouc émissaire :
presque chaque jour des reproches,
des discriminations odieuses,
des remarques désobligeantes,
des humiliations devant les collègues en crescendo
(surtout après le départ définitif de Denis,
sa bête noire, fin juin 2001).
Et tout ça alterné à
des courtes périodes où mon chef se montrait gentil (le
comportement Yo-Yo, typique du harcèlement moral), des périodes
qui me donnaient l'illusion que tout pouvait s'arranger (chose que j'avais
toujours souhaitée) et qui me déstabilisaient encore
plus quand je retombais dans la maltraitance.
Je pleurais presque chaque jour devant Benjamin. En quelques mois
je commençai à avoir des problèmes d'insomnie et
de digestion, ma vie devint un véritable enfer.
Pour donner un ordre d'idée je vais raconter quelques épisodes
parmi les plus abusifs et douloureux du harcèlement, je le répète,
presque quotidien que je subissais sur mon lieu de travail.
En juillet 2001, le jour de mon anniversaire, Benjamin me proposa de faire
le sondage trimestriel du soir, qui était prévu. J'acceptai
contente, car un peu d'argent de plus m'aurait aidée à payer
mes vacances de 10 jours prévues au mois d'août
(je ne pouvais prendre que 2 semaines de congés, mon CDI étant
très récent ).
En voyant mon enthousiasme, mon chef m'informa que j'allais être
payée avec une heure de congés pour chaque heure travaillée
le soir et pas en argent.
Je lui demandai de changer d'avis, je le priai même.
Il aidait financièrement Marica et Fabiana (absentes à
ce moment là, car en arrêt de contrat pendant l'été)
très souvent, et sans rien avoir en contrepartie : moi je ne demandai
qu'un salaire pour mon travail. Je ne pus pas le fléchir.
J'éclatai en sanglots, mais rien n'y fit. Il me dit que si j'avais
besoin d'argent il fallait m'adresser à un organisme de crédit,
pas à mon employeur et tout ça pour 2000 F !
Je fis donc le sondage du soir et la supervision des collègues
pour des heures des congés, alors que les CDD étaient payés,
et je fis un crédit pour partir en vacances.
Toujours au mois de juillet, il m'arrivait de travailler sur un ordinateur
dans son bureau, pour remplir des tableaux Excel sur sa demande. A l'époque
je n'avais que quelques petites notions de bureautique.
Dans ces occasions, il m'adressait la parole seulement pour me rabaisser
"Vous tapez si lentement ? Et pourtant ça
fait longtemps que vous travaillez sur ordinateur ! "
ou m'humilier
" Vous ne connaissez pas cette manipulation sur Excel ? Et vous voulez
être assistante ? "
sur un ton coupant et ironique.
Un jour de septembre, après une longue conversation téléphonique
avec Marica, il m'appela dans son bureau pour me demander si j'écoutais
aux portes.
Je lui répondis que non, mais il commença à crier
comme un fou en m'accusant d'écouter ses appels et ses conversations,
comme Marica et Fabiana lui avaient toujours dit, en me disant que j'étais
là pour travailler et non pour l'espionner ou faire des ragots
(il disait ça à moi !).
En pleurs je lui demandai pourquoi il croyait à tout ce que ces
2 filles disaient sur moi au lieu de regarder mon travail, mes résultats,
ma ponctualité.
Il répondit que la conversation ne pouvait pas porter sur des absentes
(c'est lui qui avait commencé et en tout cas il n'avait pas
de ces délicatesses pour ses autres salariés) et qu'en
tout cas s'il avait vraiment cru à tout ce qu'on disait sur moi,
il m'aurait licenciée depuis longtemps.
Il criait tellement que le DG vint voir ce qui se passait, mais repartit
tout de suite.
Comme il était l'heure de déjeuner, je sortis du bureau.
Désespérée, détruite,
je m'assis sur des marches dans la rue et je restai là à
pleurer, incapable de me lever, jusqu'à ce qu'une dame inconnue
vint me relever et m'accompagna chez un médecin.
Le docteur me fit un arrêt maladie de 4 jours et me conseilla vivement
de voir le délégué du personnel ou le médecin
du travail.
Or, chez Innommée les salariés les plus faibles, notamment
les télé-enquêteurs, n'étaient pas protégés,
car la déléguée du personnel, Marine, était
aussi la secrétaire du DG et derrière beaucoup de belles
paroles, servait toujours l'intérêt des plus forts.
Je lui avais déjà parlé dans le passé, mais
quelques jours plus tard mon chef m'avait rapporté mes conversations
avec elle, avec une attitude de triomphe et de force.
Pendant mon arrêt maladie, j'écrivis un long mail à
Benjamin, en lui disant que je ne méritais pas d'être traitée
comme ça et en lui expliquant toute ma souffrance. Comme d'habitude
il ne donna aucune suite au courrier électronique.
Je fis aussi l'erreur d'appeler Fabiana, qui devait bientôt
retravailler chez Innommée, pour lui demander des explications.
Devant son mépris et son agacement je m'énervai avec elle
au téléphone. A partir de ce jour-là nos rapports
ses gâtèrent définitivement.
Mon entente avec les collègues qui travaillaient l'été,
surtout des étudiants, était très bonne : ils me
respectaient et ils m'appréciaient.
Au mois d'octobre Benjamin, avec le prétexte du déménagement
imminent de la société, m'obligea, sans aucune raison valable,
à quitter mon petit bureau pour travailler à nouveau dans
la salle bruyante du télémarketing.
Cela me déstabilisa encore et
me fit pleurer.
Comme il se déroulait dans la même période la réunion
semestrielle de la société avec le PDG étranger,
à laquelle participaient tous les salariés exceptés
les télé-enquêteurs, je demandai personnellement et
par mail à mon chef d'y participer.
Le fait d'être exclue de tout pot me faisait déjà
mal, pour une réunion de travail c'était encore pire.
Benjamin dit non.
Je ne voulais qu'être intégrée dans la société
dont je faisais partie et à laquelle je donnais tout pour un salaire
minable et la réponse était toujours non. Il me répliquait
que je n'étais pas capable de m'intégrer car trop timide
et effacée.
" Je fais partie de cette société et dans les autres
services même le stagiaire qui vient d'arriver participe à
tout ! " je protestais.
Avec un ton ironique et une regard narquois il rétorquait calmement
:
" Vous ne faites pas partie de cette société, voyons
télé-enquêteur
ce n'est pas un métier ! "
Je me demandai souvent avec quoi mon responsable (et son supérieur
connivent) pensait motiver ses télé-enquêteurs et
surtout moi qui étais désormais en CDI :
exclue,
mal payée,
maltraitée,
humiliée,
sans aucune possibilité d'évolution,
d'augmentation de salaire ni même d'intégration,
on me demandait de donner toujours le maximum,
même de faire plus que mon devoir.
Et mon chef se vantait de connaître la psychologie !
Il aurait dû savoir dans ce cas que tout salarié, tout
être humain, a besoin de reconnaissance sociale dans son groupe,
de se sentir une personne à part entière et a besoin de
se réaliser ; tout cela vient après la satisfaction des
besoins primaires (manger, dormir, respirer) et secondaires (avoir un
toit et des moyens financiers).
Mais bien sûr qu'il le savait et pour m'empêcher de songer
à mes besoins de reconnaissance et de réalisation, il essayait
de me laisser dans un état ou les besoins précédents
n'étaient pas satisfaits
(pas d'argent, insomnie à cause du harcèlement)
et cela était la politique appliqué
à tout mon service-ghetto, excepté les chouchous du chef
; à la différence près que tous n'étaient
pas harcelés et que les autres n'étaient pas en CDI ( situation
définitive).
Pleine d'amertume je me révoltai à la seule situation que
je pouvais, en regagnant mon petit bureau contre le gré de mon
chef, dont la seule peur (il me le dit) était d'être mis
en porte-à-faux avec mes collègues.
Il me menaça beaucoup, mais il
ne fit rien de concret à cette occasion, au contraire il redevint
gentil pour une courte période.
Au mois de novembre je lui demandai mes congés de Noël, dont
j'avais besoin pour rendre visite à ma famille dans mon Pays. Je
n'avais droit qu'à trois jours, mais j'espérais en mûrir
plus grâce au sondage du soir à venir ou sinon de demander
des jours sans solde. Benjamin me dit avec beaucoup d'autorité
qu'il ne m'aurait pas concédé plus que trois jours.
Devant mes protestations il déclara que Fabiana lui avait demandé
deux semaines : " Entre elle et vous le choix est vite fait "
affirmât texto.
Comme je lui fis observer que le voyage de Noël était la seule
occasion dans l'année où je rentrais chez moi voir mes parents
âgés et ma famille, me cria presque :
" Mais vous la prenez pour qui Innommée ? Je n'ai rien à
faire des vos problèmes personnels : vous aurez 3 jours ! "
Je ne me rendis pas à cette énième injustice et le
lendemain je l'appelai depuis l'aéroport, où j'étais
allée acheter les billets d'avions, pour lui demander 6 jour au
lieu de 3, pour lesquels j'aurais travaillais de 9h à 21h, en prenant
seulement une demi-heure de pause le midi.
J'en avais la possibilité, car outre le sondage du soir, un sondage
en Espagne était en cours et les Espagnols vont déjeuner
à 14h (j'étais la seule de la cellule à parler espagnol).
Pris de court Benjamin accepta, mais le lendemain me fit la tête
au bureau, en disant qu'il n'aimait pas être piégé
et obligé à donner, sans se rendre compte que je n'avais
pas le choix.
Or, pendant la période où je travaillais de 9h à
21h, avec une seule demi-heure de pause à midi, peut-être
à cause de la faiblesse et de la fatigue, j'attrapai un rhume qui
se transforma en bronchite. Je dis alors à mon chef que j'avais
besoin de me mettre en arrêt maladie. Il me répondit :
" La feuille de vos congés n'est pas encore signée
: si vous vous arrêtez maintenant, vous ne partirez pas à
Noël ! "
Et comme d'habitude, j'allais travailler malade.
Certains de mes collègues étaient indignés devant
ce comportement de mon responsable et me conseillaient de partir, ainsi
que les deux amies françaises que j'avais en dehors de l'entreprise,
mais ce n'est pas facile de démissionner quand on est en CDI, qu'on
n'a rien en vue et qu'on n'a pas le temps ni les moyens de chercher autre
chose.
Au mois de décembre 2001 je rencontrai l'homme de ma vie, celui
qui est aujourd'hui mon mari, une personne merveilleuse qui me donna tout
l'amour, le respect et l'affection dont j'avais besoin et que, consciente
du potentiel d'amour que je pouvais donner moi-même, j'avais attendu
toute ma vie.
Il me fit comprendre vite que la situation que je vivais au travail n'était
ni normale, ni courante (comme disait la plupart de mes collègues)
et que j'avais le droit de protester et de m'arrêter quand j'étais
malade.
Toujours en décembre, après plusieurs tentatives de ma part,
culminées par un cadeau de Noël, je me réconciliai
avec Séverine : j'estimai que tout compte fait elle avait peu de
responsabilité dans l'histoire déjà ancienne de sa
promotion, en étant aussi un pion dans l'échiquier de Benjamin,
qui, avec Marine et d'autres collègues, se moquait souvent de sa
naïveté et de son manque d'intelligence.
Comme Marica étaient enceinte (et pour cette raison devait quitter
son poste fin décembre), que sa santé était devenue
fragile et qu'elle semblait plus sérieuse au travail, j'allai vers
elle et il y eut une autre réconciliation.
Pendant le même mois, Innommée organisa son déménagement
et les employés du télémarketing durent faire les
cartons pour tous les services, ce qui comportait soulever de lourds poids
et une grosse fatigue physique, des tâches qui n'étaient
pas marquées dans notre contrat de travail.
Une fois que je n'arrivais pas à porter un carton trop lourd, Benjamin
m'ordonna de le traîner.
Au moment du déménagement il offrit la journée du
24 décembre aux autres télé-enquêteurs, mais
pas à moi, qui l'avais prise sur mes congés.
En début d'année, je tombai malade et je pris cette fois-ci
trois jour d'arrêt.
Ensuite il y eut à nouveau le sondage du soir.
A cette occasion mon responsable me donna encore la supervision, mais
d'autre part s'amusa à me discréditer avec tous mes
collègues et à montrer qu'il n'avait aucun respect ni aucune
considération de moi.
Entre autre il m'enleva la formation des nouveaux CDD pour la confier
totalement à Fabiana.
Il me fut donc bien difficile de rappeler à l'ordre mes collègues
quand ils faisaient des pauses trop longues ou quand il travaillaient
mal, d'autant plus que je n'avais pas le titre pour, et le sondage ne
se passa pas très bien.
En outre dans cette même période, une collègue en
stage qui venait d'un centre de formation, se plaignit de la conduite
et des injustices de Benjamin et aussi de ses favoritismes, avec lui même
et avec le responsable du centre de formation.
Benjamin, incapable de reconnaître ses méfaits et de se remettre
en question, pensa, à tort, que j'étais derrière
ce mécontentement.
A la fin de l'étude du soir, j'attrapai une nouvelle fois une espèce
de grippe et je dis à mon responsable que je voulais m'arrêter.
Il me répondit que c'était honteux de prévoir un
arrêt maladie à l'avance et qu'il aurait été
plus honnête de ma part prendre les jours de congés que j'avais
cumulés en faisant l'étude du soir !
Je ne me pliais pas à cela, mais je pris une seule journée
de maladie, un vendredi.
A mon retour je fus convoquée par Marine sur demande de Benjamin.
Elle m'intimida en me disant que je devais prendre mes congés quand
j'étais malade, que je ne devais pas mettre mes collègues
contre mon chef et surtout que je ne devais pas parler mal de Fabiana,
malgré ma jalousie patente envers elle. Elle me reprocha aussi
les résultats médiocres du dernier sondage que j'avais supervisé
le soir.
" Je ne suis pas payée pour " je me défendis.
" On n'est jamais payé pour des tâches supplémentaires
au départ " elle eut le culot de me répondre.
"Mais je l'ai déjà fait plusieurs fois et bien ! "
"Malheureusement Benjamin avait choisi cette fois-ci pour juger ton
travail. "
Voilà jusqu'où pouvait aller le courage de ces lâches.
Je me sentais désormais à bout de forces : insomniaque,
avec un début d'ulcère, isolée et maltraitée
au travail, j'aurais sans doute craqué si je n'avais pas été
amoureuse de mon mari et sans son amour et son soutien.
J'avais trouvé le bonheur dans ma vie privée juste au bon
moment, sinon je serais tombée dans la dépression et je
ne serais peut-être pas là aujourd'hui pour raconter mon
histoire.
J'étais tellement faible, qu'au début du mois de février
je tombai à nouveau malade.
Pour éviter toute histoire je décidai de prendre les trois
jours de congés que j'avais cumulés avec l'étude
du soir, mais mon responsable me dit au téléphone que je
devais aller signer la feuille, sinon j'aurais été absente
injustifiée.
J'allai donc au bureau malade et je dus supporter une énième
jérémiade, assortie de menaces, entre autre on me proposait
un autre entretien avec Marine.
En larmes, je demandai pitié pour la première fois
à celui qui était désormais mon tortionnaire, je
lui dis que je voulais seulement qu'il me laisse tranquille.
" Vous avez peur ? " fut sa seule réponse.
A la mi-février, je m'arrêtai encore, pour une forme très
sérieuse de gastro-entérite (40°C de fièvres,
diarrhée et vomissements continus).
Puis je ne fis plus d'absences jusqu'à la mi-avril.
Maintenant devant les maltraitances de mon chef j'essayais de garder mon
calme, de ne pas répondre, de ne pas crier à l'injustice
et à la persécution, mais c'était dur.
Dans les nouveaux locaux d'Innommée, son bureau était séparé
de la salle du télémarketing par une vitre. Benjamin nous
espionnait, moi, son bouc émissaire, en premier.
Il venait souvent dans la salle me faire des reproches devant tout le
monde ou il frappait à la vitre pour m'appeler dans son bureau
et me crier dessus.
Une fois que je nettoyais ma gomme en la frottant sous le bureau, il se
précipita dans la salle et il m'intima :
" Frottez cette gomme sur votre pantalon ! "
Je restai bouche bée .
Il répéta son ordre et il ajouta :
" Vous le faites oui ou non ? "
" N
non
"
je balbutiai.
" Alors ne la frottez pas non plus sur un bureau qui vaut bien plus
que votre pantalon ! "
il cria.
Fabiana passait ses journées sur son téléphone portable
(théoriquement interdit) qui vibrait à tout bout de champs
où à appeler ses proches sur le téléphone
de fonction, quand elle n'était pas dans le bureau du chef à
faire des ragots.
Je reçus une seule fois un appel de mon homme sur mon portable,
qui ne marchait pas bien, et je le rappelais sur le téléphone
de fonction ; Benjamin écouta la conversation et ensuite me fit
une scène. Quand je lui fis remarquer que Fabiana pouvait se permettre
de passer ses journées sur le portable, il cria :
" Elle sait jouer le jeu : elle a un vibreur ! "
Une fois que les lignes téléphoniques ne marchaient pas
et que j'attendais dans la salle avec mes collègues que cela se
rétablisse, mon responsable tapa à la vitre pour m'appeler
et dans son bureau me fit un grand scandale accompagné de coups
de poings sur le bureau et de cris, parce que je ne trouvais pas d'autres
tâches à faire en attendant que le téléphone
fonctionne.
En sanglot, je dus ranger des fichiers papier dans la salle.
A une nouvelle collègue, qui essayait de me défendre, il
dit :
" Vous ne la connaissez pas encore :
elle pleure tout le temps et pour rien ".
Quand je lui demandai pourquoi il m'humiliait comme ça devant mes
collègues, il me répondit que je m'humiliais toute seule
avec mes larmes et mon attitude.
Un autre jour, en profitant du fait que j'avais eu un mauvais résultat
sur un sondage difficile, il afficha la feuille quotidienne de résultat
dans la salle avec mon nom entouré en rouge et la phrase
" réveillez-vous ! " marquée au stylo.
Le lendemain j'arrivais en retard (chose vraiment très rare) à
cause d'un problème du bus qui me transportait. Le conducteur du
bus m'avait donné un papier avec un n° de téléphone
que mon employeur pouvait appeler pour vérifier la panne.
A mon arrivée je donnai le papier à Benjamin, en lui expliquant
le problème.
Sur le coup il ne dit rien, mais en début d'après-midi il
vint dans la salle pour signifier à tout le monde qu'il ne fallait
jamais être en retard, qu'aucun retard, même causé
par la force majeure, n'aurait été accepté.
En sachant qu'il parlait pour moi, je lui dis qu'il y a des cas qu'on
ne peut pas prévoir.
" Je sais, mais même dans ces cas là il ne faut pas
arriver en retard ! " il me répondit.
" Si les moyens de transports ne fonctionnent pas il faut voler ?
" je lui rétorquai.
" Oui, vous devez voler ! " fut sa réponse
" Et surtout essayez de voler avec vos quotas. "
Le collègue qui faisait le même sondage que moi, en se croyant
visé murmura : " C'est une étude difficile. "
" Je ne parle pas pour vous, vous ça va, mais elle après
4 ans de boîte, elle devrait s'en sortir mieux que ça ! "
Ce mois là il oublia de me commander les tickets restaurant (j'y
avais droit étant en CDI, mais je ne pouvais pas les commander
toute seule, car les télé-enquêteurs n'avaient pas
accès à l'Intranet).
" Je pensais que c'était mon droit. "
je lui dis attristée.
" Votre droit c'est de faire des sondages ! "
fut sa réponse sèche.
Souvent il me jetait dehors de son bureau quand j'allais lui demander
quelque chose.
" Sortez de mon bureau, j'ai du travail, moi ! "
il criait le bras tendu et l'index pointé vers la porte.
A la-mi avril je dus m'arrêter encore trois jour.
A mon retour mon chef me menaça de licenciement.
Je me demandai souvent pourquoi autant de méchanceté
gratuite, à quoi bon s'acharner contre une personne, en profitant
de sa sensibilité pour essayer de la casser, en brisant en même
temps un bon élément dont la seule envie est de travailler
dans un contexte acceptable et que dans une ambiance agréable et
bien traité pourrait rendre au maximum.
Pendant la dernière année il m'était arrivé
de lui dire que je souffrais, que j'étais mal, qu'il me faisait
de la peine et qu'il était en train de me détruire. Cela
l'amusait sans doute et l'encourageait de poursuivre.
"Je m'en fous !"
c'était la réponse qu'il me criait.
Ce personnage ne se remettait jamais en cause, il avait tellement
harcelé certains de mes collègues qu'ils étaient
partis avant la fin de leur contrat ; suite à leur départ
je l'avais entendu dire :
"Après tout ce que j'ai fait pour eux !"
A chaque protestation de ma part, il me menaçait de montrer à
la DRH les mails, pourtant correctes et polies, que je lui avais envoyés
en voie totalement confidentielle.
Il inversait les rôle et se posait
en victime, en harcelé.
Une fois, en mai, maltraitée comme d'habitude, je laissai échapper
cette phrase :
" Et si vos filles tombaient sur un
chef comme vous ? "
. Il resta coi, mais quelques minutes après,
en passant devant son bureau, je l'entendis dire à Fabiana :
"Maintenant elle s'attaque à
ma famille !"
Pendant les derniers mois, j'avais songé à attaquer mon
chef aux Prud'hommes pour harcèlement moral, pour obtenir justice
de toutes ses maltraitances, mais il n'était pas facile de trouver
des témoignages
(la plupart de mes collègues se dérobait)
et les preuves nécessaires.
Moi-même, j'avais toujours minimisé
le problème à l'intérieur et surtout en dehors de
mon service :
comme toutes les personnes harcelées
j'avais honte, j'avais peur que les autres pensent que c'était
de ma faute.
J'avais donc décidé avec mon mari, à l'époque
mon compagnon (nous venions d'emménager ensemble), que j'allais
donner ma démission en septembre coûte qui coûte, car
mon bien-être et ma santé étaient plus importants
que tout le reste.
Ma soif de justice, de réparation de tous ces torts subis était
très forte, mais l'instinct de survie l'était encore plus.
Depuis septembre 2000, et donc en presque 2 ans, je n'avais pris que 4
semaines de congés et à la fatigue physique se rajoutait
la fatigue nerveuse,
le stress continu,
l'insomnie,
l'ulcère provoqué par cette situation invivable.
J'eus un malaise au travail fin mai et le médecin m'arrêta
2 jours avant le week-end.
A mon retour mon chef se montra un peu plus gentil, mais tout compte fait
c'était pour m'exhorter à travailler comme avant sans lâcher
prise.
"J'ai été peut être un peu dur, mais il fallait
que je vous secoue !"
me dit-il, en souriant.
C'était sidérant.
Seulement, je tombai encore malade 10 jours après : dans mon état
de faiblesse j'attrapais vraiment tout et cette fois-ci c'était
une toxoplasmose. Je m'arrêtai le 12 et quand je repris le travail,
le 18 juin, deux collègues en CDD avaient été embauchés
pour 2 semaines et mon chef était d'une froideur glacial.
Quelques jour après il me convoqua dans son bureau pour me donner
une lettre en mains propres contre décharge :
c'était l'avis d'un entretien
préalable au licenciement pour cause personnelle, qui se serait
déroulé une semaine plus tard, le 1er juillet.
Pour un instant je fus submergée par une vague de colère,
de désespoir presque : après toutes les humiliations, l'exploitation,
les maltraitances que j'avais subies, on me renvoyait à cause de
quelques petits arrêts maladie (je ne voyais pas d'autre cause
plausible) comme un objet usé, on ne me donnait même
pas la possibilité de démissionner dignement
pour un
instant seulement.
Ne voulais-je pas partir en septembre, finalement ? Le licenciement ne
me donnait-il pas la possibilité d'avoir les ASSEDIC ? Et un
licenciement abusif ne me permettait-il pas d'attaquer mon employeur
aux Prud'hommes et d'obtenir par un autre moyen cette justice dont j'avais
tellement soif ?
Benjamin, le petit chef imbu de sa personne, avait enfin commis l'erreur
qui m'aurait peut-être permis de le prendre à son propre
piège.
Suite à cette dernière méchanceté et mesquinerie,
il était tombé tellement bas que je n'avais plus aucun scrupule
envers lui ni aucune raison d'en avoir : j'allais savoir garder l'aplomb
nécessaire pour que le piège se referme sur le piégeur.
Tout ça me traversa l'esprit en une fraction de seconde, je gardai
donc mon calme et je sortis de son bureau sereine.
Mon chef en fut étonné : il s'attendait à ce que
je le supplie pour ne pas être licenciée !
Les jours suivants, je compris qu'il ne comptait pas me licencier vraiment
: il voulait juste me faire peur, pour que je le prie de me garder
et pour que je lui sois soumise et redevable à jamais.
Il me demandait souvent si j'avais choisi la personne, à l'intérieur
de l'entreprise, par qui je voulais me faire assister pendant l'entretien,
comme l'exige la loi, il voulait peut-être que je choisisse Marine,
qui n'aurait agit que son intérêt, mais j'avais décidé
de me présenter toute seule.
Mon calme, ma sérénité le déboussolaient,
il était devenu gentil comme un agneau, il m'avait même
(mais surtout à cause du départ estival de Fabiana),
redonné la formation.
Le jour de l'entretien, avec la DRH de la grosse société
dont Innommé était filiale, Benjamin me dit :
"Votre futur ici dépend de
ce que vous direz aujourd'hui".
Il voulait mes larmes, il voulait mes prières, pour dire :
"Mais oui, on passe l'éponge, mais faites attention dans le
futur !"
et passer pour un chef grand et généreux.
Je ne dis que la vérité : " J'ai été
malade, car faible et stressée, mais en dehors de cela j'ai toujours
bien travaillé. "
Benjamin, ne pouvant plus reculer devant la DRH, me lança dépité
:
"Ce licenciement vous arrange ?
"
"No comment"
fut la seule réponse.
Décidément, il voyait devant lui une autre personne, qui
faisait foirer tous ses plans et cela l'énervait autant qu'il m'amusait
:
c'était déjà une revanche.
Je reçus la lettre de licenciement le jour de mon anniversaire
et ce fut la dernière fois que j'eus mon anniversaire gâché
et que je pleurai à cause de mon chef.
La lettre contenait des mensonges et des calomnies, ce qui n'était
pas étonnant vu le style d'Innommée, mais je me sentais
atteinte dans ma dignité. Voilà son texte :
"Mademoiselle,
Lors de l'entretien du 1er juillet dernier, au cours duquel vous ont été
exposés les motifs de notre mécontentement, vous n'avez
pu fournir aucune explication satisfaisante.
Par conséquent, nous entendons vous notifier par la présente,
votre licenciement pour motif personnel.
Ces motifs
se rapportent à vos absences répétées au sein
de la cellule télémarketing qui désorganisent totalement
le Département.
Vous avez été
recrutée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée
le 1er avril 2001 en qualité de Chargée d'Enquêtes
suite à un contrat à durée déterminée
de 6 mois .
Ce recrutement
en poste fixe a été motivé par votre responsable
hiérarchique par le fait que vous étiez fiable, ponctuelle
et productive.
Il est à
noter que vous étiez la première personne à être
recrutée en poste fixe au sein du Département Télémarketing,
preuve de la confiance que l'on vous portait.
Or, depuis
votre recrutement en contrat à durée indéterminée
votre comportement a totalement changé.
Vous êtes
régulièrement absente pour cause de santé, absences
justifiées par des arrêts maladie.
Sur les 6 derniers mois de l'année, vous avez été
absente environ 1 mois.
Au sein d'une
petite équipe, ces absences répétées pour
maladie désorganisent le Département et impliquent des coûts
supplémentaires.
En effet le
responsable de la cellule a dû, pour faire face à votre absence,
recruter 2 personnes en contrat à durée déterminée.
Innommé
étant une petite structure répondant à des exigences
de productivité très strictes, nous n'avons aucun autre
poste au sein de notre société compatible avec votre état
de santé.
Le Département
Télémarketing s'engage auprès de ses clients sur
des dates fixes pour la remise d'études téléphoniques.
Des retards dus à des absences impliquent fatalement des pertes
de marchés, donc des incidences sur le chiffre d'affaire de la
société.
De plus, il
est également à noter que vous envoyez régulièrement
des mails à votre responsable hiérarchique, Monsieur Benjamin
R., en lui faisant part de vos états d'âmes, de votre état
de santé, de votre humeur changeante
Enfin, nous
ne pouvons que constater que, depuis votre embauche en contrat à
durée indéterminée, vous n'avez pas su ou pas voulu
vous intégrer au sein de l'équipe Télémarketing,
certains refusant même tout contact avec vous.
En conséquence,
nous n'avons d'autre choix que de vous licencier (
) "
Mon compagnon, un homme gentil et raisonnable,
avait envie d'aller casser la figure à Benjamin.
Mais notre mauvaise humeur ne dura pas longtemps.
Le soir même j'appelai un voisin et connaissance de ma belle-mère,
ancien président des Prud'hommes, lequel me dit qu'
avec une lettre de licenciement pareille, j'avais d'énormes
possibilités de gagner un procès prud'homal.
Déjà il n'y avait aucun grief sur mon travail, mon
professionnalisme et ma ponctualité, en outre l'employeur disait
bien que mes absences (pas si nombreuses pour constituer un
motif sérieux de licenciement) étaient justifiées.
Autre point important : l'embauche de CDD. Pour pouvoir licencier un
salarié il faut le remplacer par un CDI,
car engager des CDD montre, au contraire, que la société
peut pallier l'absence par maladie, légitime, sans encombres.
En outre dans la lettre l'employeur vantait mes capacités professionnelles
et disait avoir dû embaucher 2 salariés pour me remplacer,
ce qui montrait à quel point j'étais travailleuse et exploitée.
Mes larmes se transformèrent en rire :
le piégeur, le tortionnaire, était bien piégé.
Les jours suivants je demandai mes congés d'été pour
ne pas être obligée à faire mes 2 mois de préavis
et travailler jusqu'au 3 septembre.
Je dus beaucoup lutter pour les obtenir et pour avoir les 6 jours de plus
auxquels j'avais droit selon la convention collective en tant que licenciée.
Benjamin ne voulait pas lâcher prise, mais à la fin il céda,
grâce à ma promesse de travailler avec la même ardeur
jusqu'au dernier jour, promesse que je tins.
Je ne savais pas à l'époque que si je prenais mes congés
sans terminer mon préavis, la société devait me payer
aussi le préavis que je n'avais pas fait, chose que mon chef et
la RH se gardèrent bien de me dire.
Je partis définitivement le 25 juillet 2002.
Je passai l'été à me reposer et à chercher
à reprendre des forces.
Le 4 septembre, le lendemain de la cessation de mon contrat de travail,
je reçus les papiers pour l'ASSEDIC et le solde de tout compte
de l'entreprise.
Je signai le solde de tout compte en marquant la mention :
" Sous réserve de tous mes droits passés, présents
et à venir "
et je le renvoyai à Innommée avec une lettre dans laquelle
je déclarais mon intention de les attaquer aux Prud'hommes pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Je saisis ensuite le Conseil de Prud'hommes de la circonscription de mon
entreprise.
Je demandais le mois de salaire que la société ne m'avait
pas versé à titre d'indemnités de licenciement, des
indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
de 15476€64 (un an de salaire brut, mon salaire mensuel brut étant
de 1280,72€) et l'exécution provisoire de droit selon l'article
516.37 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Grâce au monsieur, ancien Président des Prud'hommes, que
connaissait ma belle-mère et qui s'offrit très gentiment
de m'aider et de m'expliquer toute démarche, je pus me passer de
prendre un avocat.
La tentative de conciliation prévue par la loi se passa le 21 novembre
2002. L'entreprise envoya la DRH et Marine, non dûment mandatées,
mais très sûre d'elles.
Elles reflétaient dans leur attitude
la vision de la société Innommée, selon laquelle,
en tant que télé-enquêtrice je n'avais aucune légitimité,
aucune valeur et je ne méritais pas le respect.
Elles semblaient ne pas se rendre compte qu'à l'extérieur
de leur entreprise il y a des lois qui protègent et respectent
tous les salariés, surtout les plus faibles, et elles sous-estimaient
complètement la procédure que j'avais engagée.
Seulement la DRH eu l'autorisation de rester dans la pièce avec
moi. En face de nous le Président du Jury, deux juges et le greffier.
La DRH parla de mes arrêts maladies, des "mails hallucinants"
que j'envoyais à mon chef, qui "était gêné
et ne savait plus quoi faire", mais ne put pas nier que les indemnités
ne m'avaient pas étaient payées dans la totalité.
Aucune volonté de conciliation
de sa part, donc, mais l'obligation de me verser tout de suite les indemnités
restantes, dans l'attente du procès fixé pour le 1er mars
2004 (malheureusement les délais de la justice prud'homale sont
longs).
La société s'exécuta vite.
De mon côté, je retrouvais petit à petit la santé,
la forme et la joie de vivre. Mon insomnie disparut en quelques mois et
je pus interrompre la prise d'un demi "Lexomil" par nuit, commencée
à contrecoeur pendant ma dernière année de travail.
Je suivis une formation de bureautique et de secrétariat, je préparai
mon mariage fixé pour le mois de juin 2003 et je réunis
le pièces pour mon procès
* témoignage
d'une collègue qui avait quitté la société,
* résultats d'analyses médicales,
* la liste des arrêts maladie délivrée
par la CPAM,
* le compte rendu d'une réunion
qui montrait la ghettoïsation de mon service,
* la feuille du suivi quantitatif du mois
d'avril que j'avais gardé,
* quelques-uns uns de mes mails et mes
conclusions personnelles.
Comme j'avais mis mon CV sur Internet, je reçus plusieurs offres
de travail, surtout pour des postes de commerciale et d'assistante commerciale
(je ne voulais plus jamais faire du télémarketing).
Cela me rassurait, mais je préférai terminer ma formation.
Je devais envoyer le dossier complet pour le procès à mon
adversaire avant le 30 juin 2003 et recevoir le sien avant le 31 octobre.
Je l'envoyai au début du mois de juin, alors que je venais de finir
ma formation.
Je me mariai comme prévu, nous partîmes en voyage de noces
à Venise, et à mon retour je commençai à chercher
activement du travail.
A la fin du mois d'août je trouvai un bon CDI pour une très
grande société qui, parmi ses nombreuses activités,
faisait de l'infogérance. C'était un poste de technicienne
help-desk 1er niveau, avec possibilité d'évolution. Le salaire
de départ était à peu prés de 1500€ brut.
J'acceptai. Je trouvai une bonne ambiance, un chef gentil, des collègues
sympathiques, des supérieurs respectueux de tous leurs employés.
Tutoyer mon supérieur direct, être
invitée au pots, participer aux réunions, être informée
de l'activité de l'entreprise dans une politique de transparence,
me semblaient, après ma douloureuse expérience, des choses
merveilleuses et très valorisantes, alors que c'est tout à
fait normal dans une entreprise respectable.
Huit mois après, grâce à
mon sérieux et à mes résultats, mon salaire avait
déjà augmenté de 100€.
J'étais désormais heureuse et épanouie, mais je
ne pouvais pas tourner la page noire de mon passé avant d'avoir
obtenu justice.
L'avocate choisie par Innommée pour cette affaire ne m'envoya son
dossier qu'une semaine avant le procès.
Comme elle ne pouvait pas m'attaquer sur des faits concrets, elle essayait
dans ses écrit de me couvrir de boue :
* je n'étais pas motivée
par mon travail et la preuve en était que je cherchais par tous
les moyens d'évoluer,
* j'étais jalouse de mes collègues
en CDD,
* j'avais souvent fait preuve de mauvais
esprit,
* je n'étais pas intégrée
dans le service et cela avait des répercussions négatives
sur le travail.
Il y avait un témoignage écrit de Séverine,
où elle revenait sur sa promotion bien antérieure à
mon CDI et affirmait que j'avais fait du harcèlement moral à
son égard, que j'étais jalouse, que j'avais fait
des ragots pour lui mettre contre toute la cellule !
L'avocate affirmait que les mails que j'avais envoyés à
mon responsable (qu'elle joignait au dossier dans leur intégralité
et dont elle se servait abondamment pour soutenir ses griefs) étaient
déplacés.
Elle affirmait aussi que la cellule télémarketing est un
département clé d'Innommée et que mes absences avaient
entraîné la désorganisation totale de l'entreprise
!
Un service si important constitué de CDD sous payés et ghettoïsés
?
Un élément si irremplaçable, dont les quelques jours
d'absences ont eu un tel impact sur la société, payé
au SMIC, maltraité, exclu de tout ?
L'avocate d'Innommée soulignait que mon état de santé
n'était nullement mis en cause dans la lettre de licenciement,
ni l'intégration du service au sein de l'entreprise, mais juste
mes absences inopinées (à cause desquelles certaines
études n'avait pas été rendues au bon moment, ce
qui avait entraîné la plainte et le mécontentement
de certains clients) et mon intégration dans mon service.
Toute cette boue, tous ces mensonges, étaient dans le pur
style d'Innommée, mais un proverbe de mon Pays dit que le râle
de l'âne n'atteint pas le ciel.
J'avais posé une journée de congés pour me rendre
au procès. Mon mari avait fait de même parce qu'il comptait
m'accompagner pour me soutenir, mais comme une angine blanche l'avait
obligé à rester au lit, j'y allai avec ma belle-mère.
Benjamin et Marine firent une apparition furtive avant le procès,
peut-être dans l'espoir de m'intimider, parlèrent avec l'avocate
et partirent.
Il y avait une dizaine de cas à traiter ce jour là devant
le Bureau de Jugement, composé de quatre membre dont le Président
(une dame) et du greffier.
Devant ce jury gentil mais ferme, je parlai à la barre.
J'expliquai ma situation chez Innommée,
comment j'étais traitée,
comment j'avais toujours travaillé.
J'expliquai mes arrêts maladie,
la raison de mes mails,
le manque de fondement des accusations de mon employeur.
La jeune femme avocat débita ses accusations farfelues : il fallait
ramener le débat au contenu de la lettre de licenciement,
jalousie,
mails,
manque de motivation,
arrêts maladie de trois jours qui paralysent
l'entreprise
Le jugement fut rendu 2 mois et demi plus tard, Innommée et moi
reçûmes le verdict par courrier à la fin de l'été.
Voici le texte :
"(
) Madame X
soutient que son licenciement est motivé en fait par son état
de santé qui a occasionné quelques arrêts maladie
depuis le 1er Janvier 2002.
Madame X conteste les motifs
invoqués par son employeur, faisant valoir :
- que ses conditions de
travail de chargée d'enquête étaient très pénibles
: trois heures d'appels ininterrompus le matin et quatre heures l'après-midi,
dans des locaux vétustes.
- qu'elle avait effectué
deux longs contrats à durée déterminée avant
son embauche définitive.
- que son activité
professionnelle n'avait fait l'objet d'aucun reproche.
- qu'elle était
chargée, certains soirs, de la formation de ses nouveaux collègues,
sans rémunération supplémentaire.
- que son supérieur
hiérarchique, Monsieur R., avait envers elle un comportement agressif
en l'humiliant et en la menaçant de licenciement depuis son passage
en contrat à durée indéterminée.
- qu'à partir de
Janvier 2002 des problèmes de santé l'ont obligée
à s'arrêter à quatre reprise totalisant ainsi 21 jours
d'arrêt maladie en six mois.
- que son employeur ne
démontre pas la désorganisation de l'entreprise causée
par ses absences, d'autant que son poste pouvait être rapidement
occupé par un contrat à durée déterminé
ou un intérimaire.
- que devant les agressions
verbales de Monsieur R. à son égard, elle avait pris la
décision de s'adresser à lui par courrier électronique.
- que concernant la non-intégration
au sein de l'équipe qui lui est reprochée, le télémarketing
étant un travail individuel, l'ambiance dans le service n'a aucune
incidence sur la production et le résultats.
Madame X demande confirmation
de l'ordonnance du Bureau de Conciliation du 21 novembre 2002 aux termes
de laquelle la SOCIÉTÉ INNOMMÉE devait lui verser
la somme de 1289,72 € à titre de complément d'indemnité
compensatrice de préavis. Elle déclare que la SOCIÉTÉ
INNOMMÉE a exécuté l'ordonnance en lui adressant
un chèque en date du 27 novembre 2002.
La SOCIÉTÉ
INNOMMÉE souligne le caractère réel et sérieux
du licenciement de Madame X.
Elle rappelle que Madame
X était chargée d'effectuer des opérations par émissions
d'appels téléphoniques.
La SOCIÉTÉ
INNOMMÉE soutient :
- que les absences répétées
pour cause de maladie constituent un motif de licenciement lorsqu'elles
perturbent l'entreprise et créent un préjudice à
l'employeur.
- qu'en l'espèce,
les absences répétées de Madame X ont fortement désorganisé
l'entreprise en occasionnant du retard dans les études de marché.
- que ces retards empêchaient
la société de respecter les délais envers les clients.
- que les clients se sont
plaints de ces retards.
- que le recours aux contrats
à durée déterminée n'était pas possible
en raison du caractère inopiné des absences.
La SOCIÉTÉ
INNOMMÉE reproche également à Madame X son comportement
à l'égard de son supérieur hiérarchique auquel
elle adressait de nombreux "mails" dans un langage familier,
et à l'égard de ses collègues par son attitude malveillante
et démotivée et son absence d'intégration au sein
de la cellule télémarketing.
La SOCIÉTÉ
INNOMÉE conclut au débouté de Madame X et formule
une demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Nouveau Code
de Procédure Civile.
SUR CE
Sur le licenciement :
ATTENDU que la lettre de
licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée
:
"Par conséquent,
nous entendons vous notifier par la présente, votre licenciement
pour motif personnel.
Ces motifs se rapportent
à vos absences répétées au sein de la cellule
télémarketing qui désorganisent totalement le Département.
Vous avez été
recrutée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée
le 1er avril 2001 en qualité de Chargée d'Enquêtes
suite à un contrat à durée déterminée
de 6 mois.
Ce recrutement en poste
fixe a été motivé par votre responsable hiérarchique
par le fait que vous étiez fiable, ponctuelle et productive.
Il est à noter que
vous étiez la première personne à être recrutée
en poste fixe au sein du Département Télémarketing,
preuve de la confiance que l'on vous portait.
Or, depuis votre recrutement
en contrat à durée indéterminée votre comportement
a totalement changé.
Vous êtes régulièrement
absente pour cause de santé, absences justifiées par des
arrêts maladie.
Sur les 6 derniers mois de l'année, vous avez été
absente environ 1 mois.
Au sein d'une petite équipe,
ces absences répétées pour maladie désorganisent
le Département et impliquent des coûts supplémentaires.
En effet le responsable
de la cellule a dû, pour faire face à votre absence, recruter
2 personnes en contrat à durée déterminée.
Innommé étant
une petite structure répondant à des exigences de productivité
très strictes, nous n'avons aucun autre poste au sein de notre
société compatible avec votre état de santé.
Le Département Télémarketing
s'engage auprès de ses clients sur des dates fixes pour la remise
d'études téléphoniques. Des retards dus à
des absences impliquent fatalement des pertes de marchés, donc
des incidences sur le chiffre d'affaire de la société.
De plus, il est également
à noter que vous envoyez régulièrement des mails
à votre responsable hiérarchique, Monsieur Benjamin R.,
en lui faisant part de vos états d'âmes, de votre état
de santé, de votre humeur changeante
Enfin, nous ne pouvons
que constater que, depuis votre embauche en contrat à durée
indéterminée, vous n'avez pas su ou pas voulu vous intégrer
au sein de l'équipe Télémarketing, certains refusant
même tout contact entre vous.
En conséquence,
nous n'avons d'autre choix que de vous licencier ".
ATTENDU
que l'employeur allègue les absences de Madame X - absences qui
ne s'élèvent d'ailleurs qu'à 21 jours sur les 6 derniers
mois, et non à un mois comme le soutient l'employeur - pour justifier
la désorganisation totale du Département Télémarketing
de l'entreprise ;
ATTENDU
que l'employeur soutient que ces absences ont eu pour conséquence
des retards dans les études de marché, des plaintes des
clients, des pertes de marché et une incidence sur le chiffre d'affaire
de la société ;
ATTENDU
cependant qu'aucun élément n'est produit à l'appui
de ces allégations, ni sur la baisse du chiffre d'affaires de la
société, ni sur les remises tardives des études,
ni sur le mécontentement des clients, ni sur les pertes de marché
;
ATTENDU
que la désorganisation du Département Marketing dans laquelle
travaillait Madame X n'est nullement établie ;
ATTENDU
que la SOCIÉTÉ INNOMMÉE invoque à la barre
l'impossibilité de recours à un contrat à durée
déterminée ou intérimaire pour pallier l'absence
de Madame X, alors même que dans la lettre de licenciement il est
fait état du recrutement de " deux personnes en contrat à
durée déterminée pour faire face à votre absence
" ;
ATTENDU
qu'il n'est pas démontré que le poste de chargée
d'enquête demande une formation et une connaissance approfondie
des dossiers telles qu'il ne peut être confié à des
salariés intérimaires ;
ATTENDU
que, de plus, la SOCIÉTÉ INNOMÉE reconnaît
dans la lettre de licenciement, n'employer, outre Madame X, que de chargés
d'enquêtes en contrats précaires ;
ATTENDU
que l'envoi de "mails" à Monsieur R. par Madame X n'a
jamais été reproché à celle-ci auparavant
et que le caractère sérieux de ce motif n'est pas démontré
;
ATTENDU
que des attestations contraires produites par les parties, il n'apparaît
pas que l'attitude de Madame X avec ses collègues soit de nature
à perturber le fonctionnement du service et à justifier
son licenciement ;
ATTENDU
que pendant trois années et demi d'activité au sein de l'entreprise
INNOMÉE, aucun reproche n'avait d'ailleurs été adressé
à Madame X ni sur son comportement avec ses collègues et
supérieur hiérarchique ni sur son activité professionnelle
;
ATTENDU
qu'au vu de ces éléments, le Conseil juge le licenciement
de Madame X dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences
du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
ATTENDU
qu'en application des dispositions de l'article L 122-14-4 du Code du
Travail, la salariée qui a plus de deux ans d'ancienneté
et dont l'employeur occupe plus de onze salariés, a droit à
une indemnité qui ne peut pas être inférieure aux
salaires de six derniers mois d'activité ;
ATTENDU
qu'en application de ce texte, Madame X peut prétendre à
une indemnité pour licenciement qui ne saurait être inférieur
à la somme de 7738,32 € ;
ATTENDU
qu'au delà de cette indemnité minimale la salariée
justifie d'un préjudice supplémentaire dans la mesure où,
tout la reconnaissant " fiable, ponctuelle et productive ",
son employeur a pris pour prétexte après trois années
et demi d'activité sans reproches ni absences, les quatre arrêts
maladie de trois à quatre jours chacun, absences sans conséquence
pour la société, pour se séparer de Madame X ;
ATTENDU
que ce licenciement particulièrement abusif et vexatoire justifie
l'octroi à Madame X à titre d'indemnité pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse d'une somme de 10320 €.
Sur les intérêts
:
ATTENDU
que les intérêts courent de plein droit au taux légal
à compter de la présente décision.
Sur l'exécution
provisoire :
ATTENDU
que la demande d'exécution provisoire sera prononcée à
hauteur de la moitié de la somme allouée.
Sur la confirmation de l'ordonnance du Bureau de Conciliation :
ATTENDU
que le Conseil de Prud'hommes a rendu, lors de l'audience de conciliation
du 21 novembre 2002, une ordonnance aux termes de laquelle la SOCIÉTÉ
INNOMÉE devait payer à Madame X la somme de 1289,72 €
à titre de complément d'indemnité compensatrice de
préavis ;
ATTENDU
que la SOCIÉTÉ INNOMÉE a immédiatement exécuté
l'ordonnance, sans contestation ;
ATTENDU
qu'il y a lieu de confirmer cette ordonnance.
Sur les dépens
:
ATTENDU
que la SOCIÉTÉ INNOMÉE supportera les dépens
;
ATTENDU
que la SOCIÉTÉ INNOMÉE doit être déboutée
de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Nouveau Code
de la Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Le Conseil de Prud'hommes
de
, après en avoir délibéré conformément
à la loi, statuant publiquement, par jugement contradictoire et
en premier ressort.
CONFIRME la décision
du Bureau de Conciliation du 21 novembre 2002 ordonnant le paiement par
la SOCIÉTÉ INNOMÉEà Madame X d'une somme de
1289,72€ à titre d'indemnité de préavis.
CONDAMNE la SOCIÉTÉ
INNOMMÉE à verser à Madame X une somme de
10 320€ à titre d'indemnité pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse
avec intérêt au taux légal à compter du prononcé
du jugement.
ORDONNE l'exécution
provisoire du présent jugement à concurrence de la moitié
de la somme allouée.
DEBOUTE Madame X
du surplus de ses demandes.
DEBOUTE la SOCIÉTÉ
INNOMMÉE de sa demande reconventionnelle.
CONDAMNE la SOCIÉTÉ
INNOMMÉE aux dépens y compris ceux éventuels
d'exécution du présent jugement. "
Justice était faite.
Grâce au Conseil de Prud'hommes (que
je remercie de tout coeur) et à leur jugement objectif, j'avais
retrouvé ma dignité de personne vis à vis
d'Innommé qui m'avait toujours considérée comme un
objet, un outil sans aucun droit.
La somme de 10320€ que la société devait me payer,
tout en étant très intéressante, n'était certainement
pas à la hauteur de toutes les injustices et les sévices
moraux que j'avais subis et supportés pendant longtemps et des
effets qu'elles avaient eu sur ma dignité et ma santé, mais
la satisfaction morale que je ressentais était le plus important
: maintenant je pouvais vraiment tourner cette longue page noire
de ma vie.
La société m'a payée
quelque jours après avec un chèque envoyé par courrier
économique.
L'idée de faire appel ne leur a même pas traversé
l'esprit : ils ne voulaient pas se faire ramasser une troisième
fois.
Dans son paiement elle n'avait pas inclus les intérêts qui
couraient depuis le 17 juin, environ 60€.
J'ai laissé tomber ça, je voulais mettre un point finale
à cette histoire.
J'ai placé un peu plus que la moitié de la somme pour me
créer une retraite complémentaire.
Avec le reste j'ai acheté un PC portable, j'ai renouvelé
complètement ma garde-robe d'hiver, j'ai fait plein de cadeaux
à mon mari et à ma famille, j'ai réservé une
semaine de vacances en Autriche pour l'année prochaine et il me
reste encore un peu d'argent.
Il faut dire que ça fait plaisir tout ça.
Comme je le disais au début de mon
témoignage, mon histoire prouve qu'on peut sortir du harcèlement
moral et se reconstruire entièrement, qu'il ne faut jamais désespérer,
mais qu'il faut réagir, ne pas subir passivement et surtout s'ouvrir
à ses proches pour ne pas sombrer dans la dépression.
J'avais peut-être besoin de mettre par écrit mon histoire
pour pouvoir tourner définitivement la page, pour, après
la justice et la satisfaction, pouvoir enfin oublier.
Maintenant c'est chose faite.
S.G.

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