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Harcèlement moral télémarketing

J'ai travaillé pendant presque 4 ans dans une société où une catégorie d'employés, dont je faisais partie, était isolée, ghettoïsée et sous-payée.

Dans cette même société j'ai subi du harcèlement moral pendant presque 2 ans.


Si je veux raconter mon expérience, c'est dans l'espoir qu'elle puisse servir à d'autres personnes qui ont vécu une situation de harcèlement moral, pour qu'elles ne répètent pas mes erreurs et pour qu'elles sachent qu'il est toujours possible de s'en sortir et de se reconstruire entièrement.

POUR DES RAISONS ÉVIDENTES LA SOCIÉTÉ N'EST PAS NOMMÉE ET TOUS LES PRÉNOMS DES GENS CONCERNÉS ONT ÉTÉ CHANGÉS.

J'ai commencé à travailler pour la société Innommée en octobre 1998.
Ressortissante d'un pays de l'Union Européenne, j'avais à l'époque la petite trentaine et j'habitais toute seule en France depuis un an.


La société Innommée, petite entreprise de services et conseil (mais filiale d'un grand groupe), m'offrait un CDD de 9 mois dans sa cellule de télémarketing, pour un salaire très proche du SMIC.

Le travail consistait en 7 heures par jour, interrompues presque seulement par la pause déjeuner, d'émission d'appels dans le but de réaliser des sondages ; naturellement on avait des quotas quotidiens à atteindre.
Nous travaillions entassés à 10 dans une petite salle poussiéreuse sans chauffage l'hiver ni climatisation l'été, à la différence des bureaux confortables des salariés des autres services.


Outre que mal payés, nous étions complètement exclus de la vie de l'entreprise : non invités aux pots ni aux soirées organisées pour les autres salariés, non convoqués aux réunions, nous étions les seuls à être vouvoyés par le responsable du service, dans une société où tout le monde se tutoyait.

En plus la société n'offrait que des CDD aux employés du télémarketing, pour les exclure de tout bénéfice.

Les éléments de la cellule qui l'acceptaient étaient ré-embauchés en CDD, après une interruption d'une durée égale à un tiers du contrat précédent : la société contournait ainsi la loi qui oblige les employeurs à embaucher en CDI les salariés qui ont passé 18 mois en CDD ou à s'en séparer.
Pour le directeur d'Innommée nous n'étions que des outils
(il l'avait dit texto pendant un briefing en réponse à une télé-enquêtrice qui se plaignait du traitement que nous subissions dans l'entreprise).
Benjamin, le responsable de la cellule âgé à l'époque d'une trentaine d'années et sans aucune expérience en management, manifestait des sympathies personnelles à l'égard de certains collaborateurs et collaboratrices et sa manière, très différente selon la personne, de traiter ses subalternes, n'avait aucun rapport avec la qualité et la quantité du travail fourni.
Il manifestait un acharnement constant et inexplicable (fait de cris, d'humiliations, d'insultes voilées et tout ça devant les collègues) envers certains et une bonhomie qui permettait tout (même la fainéantise complète) envers d'autres.
Envers moi, qui donnais vraiment le maximum pour mon travail (cela fait partie de ma personnalité de me donner à fond et de vouloir bien faire tout ce que j'entreprends professionnellement), il était correct, mais il ne me louait presque jamais, ni semblait donner d'importance à mes efforts.
Presque à la fin de mon contrat il me proposa un deuxième CDD de 9 mois à partir du mois d'octobre suivant et ma première erreur fut de l'accepter.
C'est vrai que le ghetto où la société enfermait ses télé-enquêteurs me déplaisait, mais je me disais que ce boulot n'était pas pour toujours et j'avais peur de tout recommencer, seule comme j'étais dans un pays que j'aimais, mais que je ne connaissais pas encore bien.


A mon retour en automne 1999, je travaillais avec la même ardeur et les mêmes résultats, mais mon responsable considérait de moins en moins mes efforts.
Il lui arrivait même de me répondre mal sans raison, juste parce que, très lunatique, il était de mauvaise humeur.
Il s'entendait bien avec deux employés - très soudés entre eux, qui s'amusaient à tirer tout le petit profit possible de leur situation en se moquant grassement de leur employeur dans son dos - et il martyrisait deux filles faibles qu'il avait choisies comme boucs émissaires.
Tous ses gens partirent, pour des raisons différentes, quelques mois après.
Mais le grand faible de Benjamin fut une nouvelle arrivante, Séverine, une jeune fille autant naïve et gentille que coquette et gâtée. En peu de temps elle put tout se permettre : passer des heures dans le bureau de Benjamin à papoter pendant l'horaire de travail, avoir de résultats désastreux, arriver en retard en toute impunité.
Comme Séverine et moi avions sympathisé, je me plaignais avec elle de ces injustices en lui expliquant que ce n'était pas bien que les autres dussent travailler si durement, pendant qu'à elle tout était permis, mais elle montrait un grand agacement à mes remarques et n'acceptait aucun reproche.


Je commis ma deuxième erreur en février 2000 : je demandai la prolongation de mon contrat jusqu'à la dernière limite possible, mars 2001, en espérant d'avoir ensuite un CDI de traductrice dans l'entreprise d'une connaissance, espoir qui tomba à l'eau peu après.
Et la seule certitude qui me resta fut ce CDD prolongé, que Benjamin s'était fait un plaisir de m'accorder, vu que j'étais la plus travailleuse (et la plus exploitée) de la cellule.


A l'époque je vivais déjà dans le stress d'un travail pénible et aucunement reconnu et, en travaillant d'arrache-pied, j'avais du mal à supporter les injustices et les différences de traitement dans la cellule.


Benjamin se vantait à voix haute de traiter différemment ses employés, en prétendant que grâce à ses connaissances psychologiques, il leur administrait un traitement adéquat à leur personnalité.
Or, sur un lieu de travail cela est totalement arbitraire et déplacé, d'autant plus que ses rapports avec ses employés étaient dictés uniquement par ses sympathies et antipathies personnelles ;
cela m'était de plus en plus clair (comme à la plupart de mes collègues) et son besoin de boucs émissaires ainsi que de chouchous devenait inquiétant.
Je commençais à le connaître, mais dans ma bonne fois, sensibilité et naïveté, je ne voyais pas encore en lui le pervers narcissique, le malade, le tortionnaire qu'il était en réalité.

Car cette partie de sa personnalité, il ne la montrait qu'à ses victimes.


Pour ses collègues il était un brillant blagueur, pour ses supérieurs un employé efficace et lèche-bottes, pour ses préférées dans la cellule un homme gentil et généreux.


Comme d'autre "malheureux" avant et après moi, j'aurais connu, à mes dépens, le vrai visage de cette personne.


En juin 2000, un événement imprévu et imprévisible se produisit et ce fut peut-être le déclencheur de la suite :

Séverine obtint un CDI en qualité d'assistante commerciale, grâce à un piston de Benjamin.
Pour moi c'était trop : voir quelqu'un qui ne travaille pas, qui n'a pas beaucoup d'ancienneté, ni aucune expérience dans le poste proposé, pourvoir ce poste au détriment des collègues plus anciennes, sérieuses et travailleuses, dont je faisais partie, fut la dernière goutte.


Je n'adressais plus la parole à Séverine, qui - selon mon point de vue avait trop profité de la bienveillance du chef à son égard - et je commençais à crier tout haut ce que les collègues disaient tout bas :
piston, favoritisme, injustice !


D'habitude timide, réservée et même effacée, j'affrontais mon chef en tête-à-tête et lui parlais de ses favoritismes et ses injustices sans prendre de gants.


Etonné par mon changement soudain d'attitude, au début il eut du mal à réagir, mais il reprit vite le dessus, en criant qu'il faisait ce qu'il voulait, dont favoritismes et injustices, et que cela le concernait.


Très sensible et un peu fragile, je sortis de son bureau en larmes et lui fis la tête pendant quelques semaines.


Dans l'équipe il y avait des nouveaux membres, dont quelques-uns uns qui seraient restés longtemps, par exemple Fabiana (ma compatriote) et Denis (un jeune très fouineur et cancanier) qui semblaient les 2 nouveaux boucs émissaires de Benjamin et puis Marica (une jeune fille plutôt fainéante).


Entre l'été et l'automne Benjamin devint gentil avec moi, il semblait avoir digéré mes accusations.

Il me donna des nouvelles tâches d'assistanat qui flattaient mon ego, il me permit de travailler dans un petit bureau vide à côté du sien au lieu de la salle, et il m'avoua que la promotion donné à Séverine avait été une grosse bêtise de sa part, vu que personne n'était content d'elle dans son nouveau service.


Ma troisième et plus grosse erreur : je le crus. Aveuglée par mon envie de reconnaissance et de justice, je m'étais mise dans la tête qu'après avoir subi autant d'injustices, le vent devait forcement tourner en ma faveur.


Sans m'apercevoir qu'il ne faisait que m'exploiter mieux et plus sans aucune contrepartie, sans voir qu'il utilisait son pouvoir de manipulation pour mieux m'asservir, je lui demandai de faire tout son possible pour que je reste dans l'entreprise.
Il me répondit que oui.
Il lui arrivait de me parler mal de certains de ses employés, de m'expliquer qu'il aimait les embêter, de me faire comprendre qu'il les détestait.


C'était le moment ou jamais de fuir, d'ouvrir les yeux, de comprendre que son comportement n'était pas celui d'un chef, car les sympathies et antipathies personnelles sont humaines et compréhensibles, mais elles ne doivent pas interférer dans le travail.


Je ne le fis pas ou mieux je ne voulus pas le faire.

Au contraire, consciente et avec la preuve du fait qu'il agissait uniquement à la tête du client, je lui fis confiance en pensant que cette fois-ci c'était moi qu'il allait peut-être aider, se rattrapant sur ses injustices précédentes.


Deux filles, pas aimées au début, Fabiana et Marica, très liées entre elles, essayaient par tout moyen d'attirer la sympathie du chef pour en avoir des avantages, tout en parlant mal et en se moquant de lui dans son dos, car tout le monde avait compris sa façon d'agir envers ses employés.

Elle parvinrent à leur fin à coup de lèche-bottes et de coquetterie et Denis resta la seule bête noire. Les favoritismes recommencèrent de plus belle : maintenant c'étaient elles qui pouvaient tout se permettre : retards, absences, fainéantise (surtout Marica et de façon scandaleuse).

Comme on était payé de l'heure et que c'était Benjamin qui préparait les fiches de présence, il se permettait toute sorte d'abus et d'injustice, en payant aux deux filles la plupart de leurs absences.
Elles restaient longtemps dans son bureau à bavarder, rire, plaisanter et faire des commérages (souvent sur les collègues), pendant que les autres devaient travailler et qui étaient grondés comme des écoliers au moindre écart.


L'ambiance dans la cellule devint morose : l'hypocrisie y régnait dans tous les sens.


Au milieu de tout ça Benjamin s'amusait à diviser pour mieux régner : il parlait mal des uns avec les autres, mettait les collègues les uns contre les autres, empochait des cadeaux de tout les monde et continuait à aider et à favoriser seulement les gens qu'il aimait bien : c'est ça un manipulateur.


De mon côté, je ne supportais pas toute cette hypocrisie et cette manière d'être double et je le disais clairement à mes collègues.


Le coup de grâce arriva quand le chef m'annonça très gentiment qu'il avait trouvé la manière de me faire rester dans l'entreprise : il me proposait un contrat CDI en qualité télé-enquêtrice.


Comme c'était la première fois que cela arrivait dans la société, il pensait peut-être que cela m'aurait enorgueillie, car mes résultats avaient convaincu le DG à lui concéder un CDI au télémarketing, mais je ne manifestai ni joie ni reconnaissance : au contraire je lui dis carrément ce que je pensais de ce poste et je lui rappelai qu'il avait aidé d'autres personnes mais pour moi il voulait juste poursuivre l'exploitation et à temps indéterminé.

Il se vexa, se fâcha et ce fut probablement à ce moment là qu'il commença à me détester.


En automne 2000 un sondage trimestriel du soir avait commencé : on devait travailler jusqu'à 21 heures pendant 2 ou 3 semaines et les heures du soir nous étaient payées un peu plus.


Benjamin me proposa de superviser le sondage du soir sans aucune rémunération supplémentaire par rapport à mes collègues et j'acceptai.
Mon idée de voir les injustices réparées continuait à m'obséder, je pensais toujours pouvoir obtenir un poste plus important en montrant mes capacités et mes compétences.
Pour cela aussi je n'avais pas encore dit "non" au projet de CDI : j'espérais décrocher un poste intermédiaire entre télé-enquêtrice et assistante de Benjamin.


Je pêchais beaucoup de naïveté et de confiance.
Mon responsable devenait de plus en plus antipathique avec moi, mais alternait encore ces périodes de mauvais traitement à d'autres, où il se montrait plus gentil.
Je commençais à perdre mes repaires, à culpabiliser.


Je me disais que c'était de ma faute s'il s'énervait avec moi, que je ne savais pas m'y prendre, que je ne savais pas le ménager.
Comme j'essayais de négocier mon CDI, Benjamin, commença à me maltraiter sérieusement.


Il faisait la tête du matin au soir, à chaque fois que je lui adressais la parole pour des raisons professionnelles il me répondait mal, il me dit plusieurs fois et pas à mots couverts que je n'étais rien et ne valais rien. Il débutait ses phrases par : " Ce n'est pas pour vous rabaisser, mais… "
Il commença à mettre des collègues, notamment ses préférées, contre moi. Il faut dire que je lui facilitais la tâche : j'étais trop franche envers elles qui étaient très jalouses de mes prérogatives de formatrice de nouveaux enquêteurs et de superviseuse du sondage du soir.


Lasse d'être si maltraitée et dans le seul espoir et but d'améliorer les rapports dans la cellule, j'offris à tous mes collègues et à mon responsable des cadeaux de Noël.
Cela apporta une trêve, hélas, très courte.
En janvier et février les négociations pour mon CDI reprirent de plus belle.


Tout ce que je pus obtenir, ce fut la reconnaissance de mes tâches de formatrice et traductrice de sondages, dont toutefois je n'aurais pas eu l'exclusivité dans la cellule, et un salaire net de 6300 F, une vraie misère ( en CDD avec les congés dedans je touchais presque 6700 F).


Mais chaque entretien de négociation était un calvaire, où Benjamin me menaçait
" c'est ça ou la porte "
et il avait commencé par me proposer 5800 F net !,

me faisait peur
" quand vous irez de porte en porte pour demander de l'emploi et que tous vous auront dit non, on en reparlera ",
me rabaissait constamment

" vous ne travaillez pas mieux que les autres ",

" vous devriez me remercier au lieu de vous plaindre "

et me faisait la morale

" il faut que vous appreniez à vivre avec ça : pas de dépenses superflues, pas de chaînes câble ou satellite pour la télé, par exemple " !


En outre, en dehors de ces occasions, il ne manquait pas de m'humilier

" faites marcher votre cerveau ",

dit tout en faisant tourner l'index à côté de sa tempe, de m'insulter
(" vous êtes paranoïaque "

pour justifier ses favoritismes et de me défavoriser - pendant le sondage du soir du mois de février - , il paya des heures d'absence pour maladie à Marica et pas à moi.


Il utilisait ses notions de psychologie pour me confondre, me culpabiliser et me faire peur.


Il profitait du fait que j'étais une femme toute seule pour m'intimider, même si dans ses discours farfelus il se contredisait souvent.
Presque à chaque fois qu'il me parlait son visage était sombre et fermé et sa voix dure.
C'était étonnant de voir comme son expression faciale se modifiait quand il s'adressait à moi après avoir parlé à une de ses chouchous :

de souriant, lumineux, sympathique, ouvert, son visage devenait en une fraction de seconde renfrogné, fermé, dur, le regard coupant.


Sensible et anxieuse, j'absorbais tout ça comme une éponge et je vivais les rares moments où il se montrait gentil avec moi comme des cadeaux du ciel.
C'est fut à ce moment là que je pris l'habitude de lui écrire de mails soit pour négocier mon contrat, soit pour lui exprimer ma pensée sur d'autres sujets : cela me permettait de communiquer avec lui sans avoir à l'affronter.
Dans ces mails, qui restèrent peu nombreux (une vingtaine en un an et demi de temps), j'étais toujours polie, respectueuse et gentille et je montrais une forte volonté d'arranger les choses, de travailler dans les meilleures conditions et dans la meilleure ambiance possible pour tous.
Mon responsable ne répondit à aucun de ses messages et ne me reparla d'aucun sans être relancé.
Au mois de mars j'acceptai le CDI.

J'avoue que ce fut là ma dernière et plus grave erreur.

Mais après avoir tant donné à la société Innommée, je voulais en faire vraiment partie, y être intégrée, je pensais encore naïvement qu'un CDI aurait pu m'ouvrir les portes de la reconnaissance et plus tard d'une promotion.
Naturellement je rêvais.

A force d'entendre répéter par Marine, la déléguée du personnel et secrétaire du DG, que la condition d'infériorité des télé-enquêteurs dans l'entreprise était due au fait d'être en CDD, je pensais que passer en CDI aurait changé les choses.
Mais non, avec une grande déception, je dus comprendre une fois pour toutes que notre situation était due à la fonction occupée dans l'entreprise.


Pour moi rien ne changea, à part le fait que j'étais maintenant invitée aux deux soirées annuelles organisées pour les salariés de la société, mais seulement parce que je l'avais demandé ouvertement.


A partir de mon passage en CDI ma situation empira.


Benjamin n'était jamais content de mon travail, que pourtant je continuais de faire comme avant. Il me reprochait de prendre mes pauses (15 minutes le matin et 15 l'après-midi) qu'à ses dires je ne prenais pas quand j'étais en CDD et me menaçait de licenciement.


Les ragots me concernant, à cause de la connivence entre mon chef et Marica et Fabiana aidées par le cancanier Denis (qui s'entendait bien avec elles) allaient bon train :
on disait que j'écoutais aux portes, que j'étais jalouse de mes collègues, que j'étais jalouse de Séverine et on jasait sur ma vie privée, parce que, à part une parenthèse de quelques mois en 2000, j'avais toujours été célibataire depuis que je travaillais chez Innommée.


Tout cela fait partie du harcèlement morale, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit de manière claire depuis mon passage en CDI.
Si avant on pouvait parler de sauts d'humeur d'un personnage très lunatique qui ne m'aimait pas ou des tentatives d'écraser mes protestations franches pour continuer de se comporter en tyran arbitraire, maintenant il s'agit de vrai harcèlement moral de la part d'un pervers narcissique dont je suis devenue le bouc émissaire :

presque chaque jour des reproches,
des discriminations odieuses,
des remarques désobligeantes,
des humiliations devant les collègues en crescendo
(surtout après le départ définitif de Denis,
sa bête noire, fin juin 2001).

Et tout ça alterné à des courtes périodes où mon chef se montrait gentil (le comportement Yo-Yo, typique du harcèlement moral), des périodes qui me donnaient l'illusion que tout pouvait s'arranger (chose que j'avais toujours souhaitée) et qui me déstabilisaient encore plus quand je retombais dans la maltraitance.


Je pleurais presque chaque jour devant Benjamin. En quelques mois je commençai à avoir des problèmes d'insomnie et de digestion, ma vie devint un véritable enfer.


Pour donner un ordre d'idée je vais raconter quelques épisodes parmi les plus abusifs et douloureux du harcèlement, je le répète, presque quotidien que je subissais sur mon lieu de travail.


En juillet 2001, le jour de mon anniversaire, Benjamin me proposa de faire le sondage trimestriel du soir, qui était prévu. J'acceptai contente, car un peu d'argent de plus m'aurait aidée à payer mes vacances de 10 jours prévues au mois d'août
(je ne pouvais prendre que 2 semaines de congés, mon CDI étant très récent ).


En voyant mon enthousiasme, mon chef m'informa que j'allais être payée avec une heure de congés pour chaque heure travaillée le soir et pas en argent.
Je lui demandai de changer d'avis, je le priai même.
Il aidait financièrement Marica et Fabiana (absentes à ce moment là, car en arrêt de contrat pendant l'été) très souvent, et sans rien avoir en contrepartie : moi je ne demandai qu'un salaire pour mon travail. Je ne pus pas le fléchir.
J'éclatai en sanglots, mais rien n'y fit. Il me dit que si j'avais besoin d'argent il fallait m'adresser à un organisme de crédit, pas à mon employeur et tout ça pour 2000 F !
Je fis donc le sondage du soir et la supervision des collègues pour des heures des congés, alors que les CDD étaient payés, et je fis un crédit pour partir en vacances.


Toujours au mois de juillet, il m'arrivait de travailler sur un ordinateur dans son bureau, pour remplir des tableaux Excel sur sa demande. A l'époque je n'avais que quelques petites notions de bureautique.
Dans ces occasions, il m'adressait la parole seulement pour me rabaisser
"Vous tapez si lentement ? Et pourtant ça fait longtemps que vous travaillez sur ordinateur ! "

ou m'humilier
" Vous ne connaissez pas cette manipulation sur Excel ? Et vous voulez être assistante ? "
sur un ton coupant et ironique.


Un jour de septembre, après une longue conversation téléphonique avec Marica, il m'appela dans son bureau pour me demander si j'écoutais aux portes.


Je lui répondis que non, mais il commença à crier comme un fou en m'accusant d'écouter ses appels et ses conversations, comme Marica et Fabiana lui avaient toujours dit, en me disant que j'étais là pour travailler et non pour l'espionner ou faire des ragots
(il disait ça à moi !).
En pleurs je lui demandai pourquoi il croyait à tout ce que ces 2 filles disaient sur moi au lieu de regarder mon travail, mes résultats, ma ponctualité.
Il répondit que la conversation ne pouvait pas porter sur des absentes (c'est lui qui avait commencé et en tout cas il n'avait pas de ces délicatesses pour ses autres salariés) et qu'en tout cas s'il avait vraiment cru à tout ce qu'on disait sur moi, il m'aurait licenciée depuis longtemps.
Il criait tellement que le DG vint voir ce qui se passait, mais repartit tout de suite.
Comme il était l'heure de déjeuner, je sortis du bureau.

Désespérée, détruite, je m'assis sur des marches dans la rue et je restai là à pleurer, incapable de me lever, jusqu'à ce qu'une dame inconnue vint me relever et m'accompagna chez un médecin.


Le docteur me fit un arrêt maladie de 4 jours et me conseilla vivement de voir le délégué du personnel ou le médecin du travail.


Or, chez Innommée les salariés les plus faibles, notamment les télé-enquêteurs, n'étaient pas protégés, car la déléguée du personnel, Marine, était aussi la secrétaire du DG et derrière beaucoup de belles paroles, servait toujours l'intérêt des plus forts.
Je lui avais déjà parlé dans le passé, mais quelques jours plus tard mon chef m'avait rapporté mes conversations avec elle, avec une attitude de triomphe et de force.


Pendant mon arrêt maladie, j'écrivis un long mail à Benjamin, en lui disant que je ne méritais pas d'être traitée comme ça et en lui expliquant toute ma souffrance. Comme d'habitude il ne donna aucune suite au courrier électronique.


Je fis aussi l'erreur d'appeler Fabiana, qui devait bientôt retravailler chez Innommée, pour lui demander des explications. Devant son mépris et son agacement je m'énervai avec elle au téléphone. A partir de ce jour-là nos rapports ses gâtèrent définitivement.


Mon entente avec les collègues qui travaillaient l'été, surtout des étudiants, était très bonne : ils me respectaient et ils m'appréciaient.


Au mois d'octobre Benjamin, avec le prétexte du déménagement imminent de la société, m'obligea, sans aucune raison valable, à quitter mon petit bureau pour travailler à nouveau dans la salle bruyante du télémarketing.

Cela me déstabilisa encore et me fit pleurer.


Comme il se déroulait dans la même période la réunion semestrielle de la société avec le PDG étranger, à laquelle participaient tous les salariés exceptés les télé-enquêteurs, je demandai personnellement et par mail à mon chef d'y participer.


Le fait d'être exclue de tout pot me faisait déjà mal, pour une réunion de travail c'était encore pire.
Benjamin dit non.


Je ne voulais qu'être intégrée dans la société dont je faisais partie et à laquelle je donnais tout pour un salaire minable et la réponse était toujours non. Il me répliquait que je n'étais pas capable de m'intégrer car trop timide et effacée.
" Je fais partie de cette société et dans les autres services même le stagiaire qui vient d'arriver participe à tout ! " je protestais.


Avec un ton ironique et une regard narquois il rétorquait calmement :
" Vous ne faites pas partie de cette société, voyons…télé-enquêteur ce n'est pas un métier ! "


Je me demandai souvent avec quoi mon responsable (et son supérieur connivent) pensait motiver ses télé-enquêteurs et surtout moi qui étais désormais en CDI :

exclue,
mal payée,
maltraitée,
humiliée,
sans aucune possibilité d'évolution,
d'augmentation de salaire ni même d'intégration,

on me demandait de donner toujours le maximum, même de faire plus que mon devoir.


Et mon chef se vantait de connaître la psychologie !
Il aurait dû savoir dans ce cas que tout salarié, tout être humain, a besoin de reconnaissance sociale dans son groupe, de se sentir une personne à part entière et a besoin de se réaliser ; tout cela vient après la satisfaction des besoins primaires (manger, dormir, respirer) et secondaires (avoir un toit et des moyens financiers).


Mais bien sûr qu'il le savait et pour m'empêcher de songer à mes besoins de reconnaissance et de réalisation, il essayait de me laisser dans un état ou les besoins précédents n'étaient pas satisfaits
(pas d'argent, insomnie à cause du harcèlement)
et cela était la politique appliqué à tout mon service-ghetto, excepté les chouchous du chef ; à la différence près que tous n'étaient pas harcelés et que les autres n'étaient pas en CDI ( situation définitive).


Pleine d'amertume je me révoltai à la seule situation que je pouvais, en regagnant mon petit bureau contre le gré de mon chef, dont la seule peur (il me le dit) était d'être mis en porte-à-faux avec mes collègues.

Il me menaça beaucoup, mais il ne fit rien de concret à cette occasion, au contraire il redevint gentil pour une courte période.


Au mois de novembre je lui demandai mes congés de Noël, dont j'avais besoin pour rendre visite à ma famille dans mon Pays. Je n'avais droit qu'à trois jours, mais j'espérais en mûrir plus grâce au sondage du soir à venir ou sinon de demander des jours sans solde. Benjamin me dit avec beaucoup d'autorité qu'il ne m'aurait pas concédé plus que trois jours.
Devant mes protestations il déclara que Fabiana lui avait demandé deux semaines : " Entre elle et vous le choix est vite fait " affirmât texto.
Comme je lui fis observer que le voyage de Noël était la seule occasion dans l'année où je rentrais chez moi voir mes parents âgés et ma famille, me cria presque :
" Mais vous la prenez pour qui Innommée ? Je n'ai rien à faire des vos problèmes personnels : vous aurez 3 jours ! "


Je ne me rendis pas à cette énième injustice et le lendemain je l'appelai depuis l'aéroport, où j'étais allée acheter les billets d'avions, pour lui demander 6 jour au lieu de 3, pour lesquels j'aurais travaillais de 9h à 21h, en prenant seulement une demi-heure de pause le midi.


J'en avais la possibilité, car outre le sondage du soir, un sondage en Espagne était en cours et les Espagnols vont déjeuner à 14h (j'étais la seule de la cellule à parler espagnol).
Pris de court Benjamin accepta, mais le lendemain me fit la tête au bureau, en disant qu'il n'aimait pas être piégé et obligé à donner, sans se rendre compte que je n'avais pas le choix.


Or, pendant la période où je travaillais de 9h à 21h, avec une seule demi-heure de pause à midi, peut-être à cause de la faiblesse et de la fatigue, j'attrapai un rhume qui se transforma en bronchite. Je dis alors à mon chef que j'avais besoin de me mettre en arrêt maladie. Il me répondit :
" La feuille de vos congés n'est pas encore signée : si vous vous arrêtez maintenant, vous ne partirez pas à Noël ! "


Et comme d'habitude, j'allais travailler malade.


Certains de mes collègues étaient indignés devant ce comportement de mon responsable et me conseillaient de partir, ainsi que les deux amies françaises que j'avais en dehors de l'entreprise, mais ce n'est pas facile de démissionner quand on est en CDI, qu'on n'a rien en vue et qu'on n'a pas le temps ni les moyens de chercher autre chose.


Au mois de décembre 2001 je rencontrai l'homme de ma vie, celui qui est aujourd'hui mon mari, une personne merveilleuse qui me donna tout l'amour, le respect et l'affection dont j'avais besoin et que, consciente du potentiel d'amour que je pouvais donner moi-même, j'avais attendu toute ma vie.


Il me fit comprendre vite que la situation que je vivais au travail n'était ni normale, ni courante (comme disait la plupart de mes collègues) et que j'avais le droit de protester et de m'arrêter quand j'étais malade.
Toujours en décembre, après plusieurs tentatives de ma part, culminées par un cadeau de Noël, je me réconciliai avec Séverine : j'estimai que tout compte fait elle avait peu de responsabilité dans l'histoire déjà ancienne de sa promotion, en étant aussi un pion dans l'échiquier de Benjamin, qui, avec Marine et d'autres collègues, se moquait souvent de sa naïveté et de son manque d'intelligence.
Comme Marica étaient enceinte (et pour cette raison devait quitter son poste fin décembre), que sa santé était devenue fragile et qu'elle semblait plus sérieuse au travail, j'allai vers elle et il y eut une autre réconciliation.
Pendant le même mois, Innommée organisa son déménagement et les employés du télémarketing durent faire les cartons pour tous les services, ce qui comportait soulever de lourds poids et une grosse fatigue physique, des tâches qui n'étaient pas marquées dans notre contrat de travail.


Une fois que je n'arrivais pas à porter un carton trop lourd, Benjamin m'ordonna de le traîner.


Au moment du déménagement il offrit la journée du 24 décembre aux autres télé-enquêteurs, mais pas à moi, qui l'avais prise sur mes congés.
En début d'année, je tombai malade et je pris cette fois-ci trois jour d'arrêt.
Ensuite il y eut à nouveau le sondage du soir.

A cette occasion mon responsable me donna encore la supervision, mais d'autre part s'amusa à me discréditer avec tous mes collègues et à montrer qu'il n'avait aucun respect ni aucune considération de moi.
Entre autre il m'enleva la formation des nouveaux CDD pour la confier totalement à Fabiana.
Il me fut donc bien difficile de rappeler à l'ordre mes collègues quand ils faisaient des pauses trop longues ou quand il travaillaient mal, d'autant plus que je n'avais pas le titre pour, et le sondage ne se passa pas très bien.


En outre dans cette même période, une collègue en stage qui venait d'un centre de formation, se plaignit de la conduite et des injustices de Benjamin et aussi de ses favoritismes, avec lui même et avec le responsable du centre de formation.

Benjamin, incapable de reconnaître ses méfaits et de se remettre en question, pensa, à tort, que j'étais derrière ce mécontentement.


A la fin de l'étude du soir, j'attrapai une nouvelle fois une espèce de grippe et je dis à mon responsable que je voulais m'arrêter. Il me répondit que c'était honteux de prévoir un arrêt maladie à l'avance et qu'il aurait été plus honnête de ma part prendre les jours de congés que j'avais cumulés en faisant l'étude du soir !
Je ne me pliais pas à cela, mais je pris une seule journée de maladie, un vendredi.
A mon retour je fus convoquée par Marine sur demande de Benjamin.
Elle m'intimida en me disant que je devais prendre mes congés quand j'étais malade, que je ne devais pas mettre mes collègues contre mon chef et surtout que je ne devais pas parler mal de Fabiana, malgré ma jalousie patente envers elle. Elle me reprocha aussi les résultats médiocres du dernier sondage que j'avais supervisé le soir.
" Je ne suis pas payée pour " je me défendis.
" On n'est jamais payé pour des tâches supplémentaires au départ " elle eut le culot de me répondre.
"Mais je l'ai déjà fait plusieurs fois et bien ! "
"Malheureusement Benjamin avait choisi cette fois-ci pour juger ton travail. "
Voilà jusqu'où pouvait aller le courage de ces lâches.
Je me sentais désormais à bout de forces : insomniaque, avec un début d'ulcère, isolée et maltraitée au travail, j'aurais sans doute craqué si je n'avais pas été amoureuse de mon mari et sans son amour et son soutien.
J'avais trouvé le bonheur dans ma vie privée juste au bon moment, sinon je serais tombée dans la dépression et je ne serais peut-être pas là aujourd'hui pour raconter mon histoire.
J'étais tellement faible, qu'au début du mois de février je tombai à nouveau malade.


Pour éviter toute histoire je décidai de prendre les trois jours de congés que j'avais cumulés avec l'étude du soir, mais mon responsable me dit au téléphone que je devais aller signer la feuille, sinon j'aurais été absente injustifiée.
J'allai donc au bureau malade et je dus supporter une énième jérémiade, assortie de menaces, entre autre on me proposait un autre entretien avec Marine.


En larmes, je demandai pitié pour la première fois à celui qui était désormais mon tortionnaire, je lui dis que je voulais seulement qu'il me laisse tranquille.


" Vous avez peur ? " fut sa seule réponse.


A la mi-février, je m'arrêtai encore, pour une forme très sérieuse de gastro-entérite (40°C de fièvres, diarrhée et vomissements continus).
Puis je ne fis plus d'absences jusqu'à la mi-avril.


Maintenant devant les maltraitances de mon chef j'essayais de garder mon calme, de ne pas répondre, de ne pas crier à l'injustice et à la persécution, mais c'était dur.
Dans les nouveaux locaux d'Innommée, son bureau était séparé de la salle du télémarketing par une vitre. Benjamin nous espionnait, moi, son bouc émissaire, en premier.


Il venait souvent dans la salle me faire des reproches devant tout le monde ou il frappait à la vitre pour m'appeler dans son bureau et me crier dessus.
Une fois que je nettoyais ma gomme en la frottant sous le bureau, il se précipita dans la salle et il m'intima :
" Frottez cette gomme sur votre pantalon ! "
Je restai bouche bée .
Il répéta son ordre et il ajouta :
" Vous le faites oui ou non ? "
" N…non… "
je balbutiai.
" Alors ne la frottez pas non plus sur un bureau qui vaut bien plus que votre pantalon ! "
il cria.


Fabiana passait ses journées sur son téléphone portable (théoriquement interdit) qui vibrait à tout bout de champs où à appeler ses proches sur le téléphone de fonction, quand elle n'était pas dans le bureau du chef à faire des ragots.
Je reçus une seule fois un appel de mon homme sur mon portable, qui ne marchait pas bien, et je le rappelais sur le téléphone de fonction ; Benjamin écouta la conversation et ensuite me fit une scène. Quand je lui fis remarquer que Fabiana pouvait se permettre de passer ses journées sur le portable, il cria :
" Elle sait jouer le jeu : elle a un vibreur ! "


Une fois que les lignes téléphoniques ne marchaient pas et que j'attendais dans la salle avec mes collègues que cela se rétablisse, mon responsable tapa à la vitre pour m'appeler et dans son bureau me fit un grand scandale accompagné de coups de poings sur le bureau et de cris, parce que je ne trouvais pas d'autres tâches à faire en attendant que le téléphone fonctionne.


En sanglot, je dus ranger des fichiers papier dans la salle.
A une nouvelle collègue, qui essayait de me défendre, il dit :
" Vous ne la connaissez pas encore :
elle pleure tout le temps et pour rien ".


Quand je lui demandai pourquoi il m'humiliait comme ça devant mes collègues, il me répondit que je m'humiliais toute seule avec mes larmes et mon attitude.


Un autre jour, en profitant du fait que j'avais eu un mauvais résultat sur un sondage difficile, il afficha la feuille quotidienne de résultat dans la salle avec mon nom entouré en rouge et la phrase
" réveillez-vous ! " marquée au stylo.


Le lendemain j'arrivais en retard (chose vraiment très rare) à cause d'un problème du bus qui me transportait. Le conducteur du bus m'avait donné un papier avec un n° de téléphone que mon employeur pouvait appeler pour vérifier la panne.
A mon arrivée je donnai le papier à Benjamin, en lui expliquant le problème.
Sur le coup il ne dit rien, mais en début d'après-midi il vint dans la salle pour signifier à tout le monde qu'il ne fallait jamais être en retard, qu'aucun retard, même causé par la force majeure, n'aurait été accepté.
En sachant qu'il parlait pour moi, je lui dis qu'il y a des cas qu'on ne peut pas prévoir.
" Je sais, mais même dans ces cas là il ne faut pas arriver en retard ! " il me répondit.
" Si les moyens de transports ne fonctionnent pas il faut voler ? " je lui rétorquai.
" Oui, vous devez voler ! " fut sa réponse
" Et surtout essayez de voler avec vos quotas. "


Le collègue qui faisait le même sondage que moi, en se croyant visé murmura : " C'est une étude difficile. "
" Je ne parle pas pour vous, vous ça va, mais elle après 4 ans de boîte, elle devrait s'en sortir mieux que ça ! "
Ce mois là il oublia de me commander les tickets restaurant (j'y avais droit étant en CDI, mais je ne pouvais pas les commander toute seule, car les télé-enquêteurs n'avaient pas accès à l'Intranet).


" Je pensais que c'était mon droit. "
je lui dis attristée.


" Votre droit c'est de faire des sondages ! "
fut sa réponse sèche.


Souvent il me jetait dehors de son bureau quand j'allais lui demander quelque chose.


" Sortez de mon bureau, j'ai du travail, moi ! "
il criait le bras tendu et l'index pointé vers la porte.


A la-mi avril je dus m'arrêter encore trois jour.
A mon retour mon chef me menaça de licenciement.


Je me demandai souvent pourquoi autant de méchanceté gratuite, à quoi bon s'acharner contre une personne, en profitant de sa sensibilité pour essayer de la casser, en brisant en même temps un bon élément dont la seule envie est de travailler dans un contexte acceptable et que dans une ambiance agréable et bien traité pourrait rendre au maximum.


Pendant la dernière année il m'était arrivé de lui dire que je souffrais, que j'étais mal, qu'il me faisait de la peine et qu'il était en train de me détruire. Cela l'amusait sans doute et l'encourageait de poursuivre.


"Je m'en fous !"
c'était la réponse qu'il me criait.


Ce personnage ne se remettait jamais en cause, il avait tellement harcelé certains de mes collègues qu'ils étaient partis avant la fin de leur contrat ; suite à leur départ je l'avais entendu dire :


"Après tout ce que j'ai fait pour eux !"


A chaque protestation de ma part, il me menaçait de montrer à la DRH les mails, pourtant correctes et polies, que je lui avais envoyés en voie totalement confidentielle.

Il inversait les rôle et se posait en victime, en harcelé.


Une fois, en mai, maltraitée comme d'habitude, je laissai échapper cette phrase :

" Et si vos filles tombaient sur un chef comme vous ? "

. Il resta coi, mais quelques minutes après, en passant devant son bureau, je l'entendis dire à Fabiana :

"Maintenant elle s'attaque à ma famille !"


Pendant les derniers mois, j'avais songé à attaquer mon chef aux Prud'hommes pour harcèlement moral, pour obtenir justice de toutes ses maltraitances, mais il n'était pas facile de trouver des témoignages
(la plupart de mes collègues se dérobait)
et les preuves nécessaires.

Moi-même, j'avais toujours minimisé le problème à l'intérieur et surtout en dehors de mon service :

comme toutes les personnes harcelées j'avais honte, j'avais peur que les autres pensent que c'était de ma faute.


J'avais donc décidé avec mon mari, à l'époque mon compagnon (nous venions d'emménager ensemble), que j'allais donner ma démission en septembre coûte qui coûte, car mon bien-être et ma santé étaient plus importants que tout le reste.


Ma soif de justice, de réparation de tous ces torts subis était très forte, mais l'instinct de survie l'était encore plus.


Depuis septembre 2000, et donc en presque 2 ans, je n'avais pris que 4 semaines de congés et à la fatigue physique se rajoutait
la fatigue nerveuse,
le stress continu,
l'insomnie,
l'ulcère provoqué par cette situation invivable.


J'eus un malaise au travail fin mai et le médecin m'arrêta 2 jours avant le week-end.
A mon retour mon chef se montra un peu plus gentil, mais tout compte fait c'était pour m'exhorter à travailler comme avant sans lâcher prise.


"J'ai été peut être un peu dur, mais il fallait que je vous secoue !"
me dit-il, en souriant.
C'était sidérant.


Seulement, je tombai encore malade 10 jours après : dans mon état de faiblesse j'attrapais vraiment tout et cette fois-ci c'était une toxoplasmose. Je m'arrêtai le 12 et quand je repris le travail, le 18 juin, deux collègues en CDD avaient été embauchés pour 2 semaines et mon chef était d'une froideur glacial.


Quelques jour après il me convoqua dans son bureau pour me donner une lettre en mains propres contre décharge :

c'était l'avis d'un entretien préalable au licenciement pour cause personnelle, qui se serait déroulé une semaine plus tard, le 1er juillet.


Pour un instant je fus submergée par une vague de colère, de désespoir presque : après toutes les humiliations, l'exploitation, les maltraitances que j'avais subies, on me renvoyait à cause de quelques petits arrêts maladie (je ne voyais pas d'autre cause plausible) comme un objet usé, on ne me donnait même pas la possibilité de démissionner dignement…pour un instant seulement.


Ne voulais-je pas partir en septembre, finalement ? Le licenciement ne me donnait-il pas la possibilité d'avoir les ASSEDIC ? Et un licenciement abusif ne me permettait-il pas d'attaquer mon employeur aux Prud'hommes et d'obtenir par un autre moyen cette justice dont j'avais tellement soif ?


Benjamin, le petit chef imbu de sa personne, avait enfin commis l'erreur qui m'aurait peut-être permis de le prendre à son propre piège.
Suite à cette dernière méchanceté et mesquinerie, il était tombé tellement bas que je n'avais plus aucun scrupule envers lui ni aucune raison d'en avoir : j'allais savoir garder l'aplomb nécessaire pour que le piège se referme sur le piégeur.


Tout ça me traversa l'esprit en une fraction de seconde, je gardai donc mon calme et je sortis de son bureau sereine.


Mon chef en fut étonné : il s'attendait à ce que je le supplie pour ne pas être licenciée !


Les jours suivants, je compris qu'il ne comptait pas me licencier vraiment : il voulait juste me faire peur, pour que je le prie de me garder et pour que je lui sois soumise et redevable à jamais.


Il me demandait souvent si j'avais choisi la personne, à l'intérieur de l'entreprise, par qui je voulais me faire assister pendant l'entretien, comme l'exige la loi, il voulait peut-être que je choisisse Marine, qui n'aurait agit que son intérêt, mais j'avais décidé de me présenter toute seule.


Mon calme, ma sérénité le déboussolaient,
il était devenu gentil comme un agneau, il m'avait même (mais surtout à cause du départ estival de Fabiana), redonné la formation.


Le jour de l'entretien, avec la DRH de la grosse société dont Innommé était filiale, Benjamin me dit :

"Votre futur ici dépend de ce que vous direz aujourd'hui".


Il voulait mes larmes, il voulait mes prières, pour dire :
"Mais oui, on passe l'éponge, mais faites attention dans le futur !"
et passer pour un chef grand et généreux.


Je ne dis que la vérité : " J'ai été malade, car faible et stressée, mais en dehors de cela j'ai toujours bien travaillé. "


Benjamin, ne pouvant plus reculer devant la DRH, me lança dépité :

"Ce licenciement vous arrange ? "


"No comment"
fut la seule réponse.


Décidément, il voyait devant lui une autre personne, qui faisait foirer tous ses plans et cela l'énervait autant qu'il m'amusait :
c'était déjà une revanche.


Je reçus la lettre de licenciement le jour de mon anniversaire et ce fut la dernière fois que j'eus mon anniversaire gâché et que je pleurai à cause de mon chef.
La lettre contenait des mensonges et des calomnies, ce qui n'était pas étonnant vu le style d'Innommée, mais je me sentais atteinte dans ma dignité. Voilà son texte :


"Mademoiselle,
Lors de l'entretien du 1er juillet dernier, au cours duquel vous ont été exposés les motifs de notre mécontentement, vous n'avez pu fournir aucune explication satisfaisante.
Par conséquent, nous entendons vous notifier par la présente, votre licenciement pour motif personnel.

Ces motifs se rapportent à vos absences répétées au sein de la cellule télémarketing qui désorganisent totalement le Département.

Vous avez été recrutée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 1er avril 2001 en qualité de Chargée d'Enquêtes suite à un contrat à durée déterminée de 6 mois .

Ce recrutement en poste fixe a été motivé par votre responsable hiérarchique par le fait que vous étiez fiable, ponctuelle et productive.

Il est à noter que vous étiez la première personne à être recrutée en poste fixe au sein du Département Télémarketing, preuve de la confiance que l'on vous portait.

Or, depuis votre recrutement en contrat à durée indéterminée votre comportement a totalement changé.

Vous êtes régulièrement absente pour cause de santé, absences justifiées par des arrêts maladie.
Sur les 6 derniers mois de l'année, vous avez été absente environ 1 mois.

Au sein d'une petite équipe, ces absences répétées pour maladie désorganisent le Département et impliquent des coûts supplémentaires.

En effet le responsable de la cellule a dû, pour faire face à votre absence, recruter 2 personnes en contrat à durée déterminée.

Innommé étant une petite structure répondant à des exigences de productivité très strictes, nous n'avons aucun autre poste au sein de notre société compatible avec votre état de santé.

Le Département Télémarketing s'engage auprès de ses clients sur des dates fixes pour la remise d'études téléphoniques. Des retards dus à des absences impliquent fatalement des pertes de marchés, donc des incidences sur le chiffre d'affaire de la société.

De plus, il est également à noter que vous envoyez régulièrement des mails à votre responsable hiérarchique, Monsieur Benjamin R., en lui faisant part de vos états d'âmes, de votre état de santé, de votre humeur changeante…

Enfin, nous ne pouvons que constater que, depuis votre embauche en contrat à durée indéterminée, vous n'avez pas su ou pas voulu vous intégrer au sein de l'équipe Télémarketing, certains refusant même tout contact avec vous.

En conséquence, nous n'avons d'autre choix que de vous licencier ( …) "

Mon compagnon, un homme gentil et raisonnable, avait envie d'aller casser la figure à Benjamin.


Mais notre mauvaise humeur ne dura pas longtemps.
Le soir même j'appelai un voisin et connaissance de ma belle-mère, ancien président des Prud'hommes, lequel me dit qu'
avec une lettre de licenciement pareille,
j'avais d'énormes possibilités de gagner un procès prud'homal.


Déjà il n'y avait aucun grief sur mon travail, mon professionnalisme et ma ponctualité, en outre l'employeur disait bien que mes absences (pas si nombreuses pour constituer un motif sérieux de licenciement) étaient justifiées.
Autre point important : l'embauche de CDD. Pour pouvoir licencier un salarié il faut le remplacer par un CDI,
car engager des CDD montre, au contraire, que la société peut pallier l'absence par maladie, légitime, sans encombres.


En outre dans la lettre l'employeur vantait mes capacités professionnelles et disait avoir dû embaucher 2 salariés pour me remplacer, ce qui montrait à quel point j'étais travailleuse et exploitée.


Mes larmes se transformèrent en rire :
le piégeur, le tortionnaire, était bien piégé.


Les jours suivants je demandai mes congés d'été pour ne pas être obligée à faire mes 2 mois de préavis et travailler jusqu'au 3 septembre.
Je dus beaucoup lutter pour les obtenir et pour avoir les 6 jours de plus auxquels j'avais droit selon la convention collective en tant que licenciée.


Benjamin ne voulait pas lâcher prise, mais à la fin il céda, grâce à ma promesse de travailler avec la même ardeur jusqu'au dernier jour, promesse que je tins.


Je ne savais pas à l'époque que si je prenais mes congés sans terminer mon préavis, la société devait me payer aussi le préavis que je n'avais pas fait, chose que mon chef et la RH se gardèrent bien de me dire.
Je partis définitivement le 25 juillet 2002.


Je passai l'été à me reposer et à chercher à reprendre des forces.
Le 4 septembre, le lendemain de la cessation de mon contrat de travail, je reçus les papiers pour l'ASSEDIC et le solde de tout compte de l'entreprise.


Je signai le solde de tout compte en marquant la mention :
" Sous réserve de tous mes droits passés, présents et à venir "
et je le renvoyai à Innommée avec une lettre dans laquelle je déclarais mon intention de les attaquer aux Prud'hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Je saisis ensuite le Conseil de Prud'hommes de la circonscription de mon entreprise.


Je demandais le mois de salaire que la société ne m'avait pas versé à titre d'indemnités de licenciement, des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 15476€64 (un an de salaire brut, mon salaire mensuel brut étant de 1280,72€) et l'exécution provisoire de droit selon l'article 516.37 du Nouveau Code de Procédure Civile.


Grâce au monsieur, ancien Président des Prud'hommes, que connaissait ma belle-mère et qui s'offrit très gentiment de m'aider et de m'expliquer toute démarche, je pus me passer de prendre un avocat.


La tentative de conciliation prévue par la loi se passa le 21 novembre 2002. L'entreprise envoya la DRH et Marine, non dûment mandatées, mais très sûre d'elles.

Elles reflétaient dans leur attitude la vision de la société Innommée, selon laquelle, en tant que télé-enquêtrice je n'avais aucune légitimité, aucune valeur et je ne méritais pas le respect.
Elles semblaient ne pas se rendre compte qu'à l'extérieur de leur entreprise il y a des lois qui protègent et respectent tous les salariés, surtout les plus faibles, et elles sous-estimaient complètement la procédure que j'avais engagée.


Seulement la DRH eu l'autorisation de rester dans la pièce avec moi. En face de nous le Président du Jury, deux juges et le greffier.
La DRH parla de mes arrêts maladies, des "mails hallucinants" que j'envoyais à mon chef, qui "était gêné et ne savait plus quoi faire", mais ne put pas nier que les indemnités ne m'avaient pas étaient payées dans la totalité.

Aucune volonté de conciliation de sa part, donc, mais l'obligation de me verser tout de suite les indemnités restantes, dans l'attente du procès fixé pour le 1er mars 2004 (malheureusement les délais de la justice prud'homale sont longs).
La société s'exécuta vite.


De mon côté, je retrouvais petit à petit la santé, la forme et la joie de vivre. Mon insomnie disparut en quelques mois et je pus interrompre la prise d'un demi "Lexomil" par nuit, commencée à contrecoeur pendant ma dernière année de travail.


Je suivis une formation de bureautique et de secrétariat, je préparai mon mariage fixé pour le mois de juin 2003 et je réunis le pièces pour mon procès

* témoignage d'une collègue qui avait quitté la société,

* résultats d'analyses médicales,

* la liste des arrêts maladie délivrée par la CPAM,

* le compte rendu d'une réunion qui montrait la ghettoïsation de mon service,

* la feuille du suivi quantitatif du mois d'avril que j'avais gardé,

* quelques-uns uns de mes mails et mes conclusions personnelles.


Comme j'avais mis mon CV sur Internet, je reçus plusieurs offres de travail, surtout pour des postes de commerciale et d'assistante commerciale (je ne voulais plus jamais faire du télémarketing).
Cela me rassurait, mais je préférai terminer ma formation.
Je devais envoyer le dossier complet pour le procès à mon adversaire avant le 30 juin 2003 et recevoir le sien avant le 31 octobre.
Je l'envoyai au début du mois de juin, alors que je venais de finir ma formation.


Je me mariai comme prévu, nous partîmes en voyage de noces à Venise, et à mon retour je commençai à chercher activement du travail.


A la fin du mois d'août je trouvai un bon CDI pour une très grande société qui, parmi ses nombreuses activités, faisait de l'infogérance. C'était un poste de technicienne help-desk 1er niveau, avec possibilité d'évolution. Le salaire de départ était à peu prés de 1500€ brut.
J'acceptai. Je trouvai une bonne ambiance, un chef gentil, des collègues sympathiques, des supérieurs respectueux de tous leurs employés.

Tutoyer mon supérieur direct, être invitée au pots, participer aux réunions, être informée de l'activité de l'entreprise dans une politique de transparence, me semblaient, après ma douloureuse expérience, des choses merveilleuses et très valorisantes, alors que c'est tout à fait normal dans une entreprise respectable.

Huit mois après, grâce à mon sérieux et à mes résultats, mon salaire avait déjà augmenté de 100€.
J'étais désormais heureuse et épanouie, mais je ne pouvais pas tourner la page noire de mon passé avant d'avoir obtenu justice.


L'avocate choisie par Innommée pour cette affaire ne m'envoya son dossier qu'une semaine avant le procès.
Comme elle ne pouvait pas m'attaquer sur des faits concrets, elle essayait dans ses écrit de me couvrir de boue :

* je n'étais pas motivée par mon travail et la preuve en était que je cherchais par tous les moyens d'évoluer,

* j'étais jalouse de mes collègues en CDD,

* j'avais souvent fait preuve de mauvais esprit,

* je n'étais pas intégrée dans le service et cela avait des répercussions négatives sur le travail.


Il y avait un témoignage écrit de Séverine, où elle revenait sur sa promotion bien antérieure à mon CDI et affirmait que j'avais fait du harcèlement moral à son égard, que j'étais jalouse, que j'avais fait des ragots pour lui mettre contre toute la cellule !


L'avocate affirmait que les mails que j'avais envoyés à mon responsable (qu'elle joignait au dossier dans leur intégralité et dont elle se servait abondamment pour soutenir ses griefs) étaient déplacés.


Elle affirmait aussi que la cellule télémarketing est un département clé d'Innommée et que mes absences avaient entraîné la désorganisation totale de l'entreprise !


Un service si important constitué de CDD sous payés et ghettoïsés ?


Un élément si irremplaçable, dont les quelques jours d'absences ont eu un tel impact sur la société, payé au SMIC, maltraité, exclu de tout ?


L'avocate d'Innommée soulignait que mon état de santé n'était nullement mis en cause dans la lettre de licenciement, ni l'intégration du service au sein de l'entreprise, mais juste mes absences inopinées (à cause desquelles certaines études n'avait pas été rendues au bon moment, ce qui avait entraîné la plainte et le mécontentement de certains clients) et mon intégration dans mon service.
Toute cette boue, tous ces mensonges, étaient dans le pur style d'Innommée, mais un proverbe de mon Pays dit que le râle de l'âne n'atteint pas le ciel.


J'avais posé une journée de congés pour me rendre au procès. Mon mari avait fait de même parce qu'il comptait m'accompagner pour me soutenir, mais comme une angine blanche l'avait obligé à rester au lit, j'y allai avec ma belle-mère.


Benjamin et Marine firent une apparition furtive avant le procès, peut-être dans l'espoir de m'intimider, parlèrent avec l'avocate et partirent.
Il y avait une dizaine de cas à traiter ce jour là devant le Bureau de Jugement, composé de quatre membre dont le Président (une dame) et du greffier.


Devant ce jury gentil mais ferme, je parlai à la barre.
J'expliquai ma situation chez Innommée,


comment j'étais traitée,
comment j'avais toujours travaillé.
J'expliquai mes arrêts maladie,
la raison de mes mails,
le manque de fondement des accusations de mon employeur.


La jeune femme avocat débita ses accusations farfelues : il fallait ramener le débat au contenu de la lettre de licenciement,

jalousie,
mails,
manque de motivation,
arrêts maladie de trois jours qui paralysent l'entreprise…


Le jugement fut rendu 2 mois et demi plus tard, Innommée et moi reçûmes le verdict par courrier à la fin de l'été.
Voici le texte :

"(…) Madame X soutient que son licenciement est motivé en fait par son état de santé qui a occasionné quelques arrêts maladie depuis le 1er Janvier 2002.

Madame X conteste les motifs invoqués par son employeur, faisant valoir :

- que ses conditions de travail de chargée d'enquête étaient très pénibles : trois heures d'appels ininterrompus le matin et quatre heures l'après-midi, dans des locaux vétustes.

- qu'elle avait effectué deux longs contrats à durée déterminée avant son embauche définitive.

- que son activité professionnelle n'avait fait l'objet d'aucun reproche.

- qu'elle était chargée, certains soirs, de la formation de ses nouveaux collègues, sans rémunération supplémentaire.

- que son supérieur hiérarchique, Monsieur R., avait envers elle un comportement agressif en l'humiliant et en la menaçant de licenciement depuis son passage en contrat à durée indéterminée.

- qu'à partir de Janvier 2002 des problèmes de santé l'ont obligée à s'arrêter à quatre reprise totalisant ainsi 21 jours d'arrêt maladie en six mois.

- que son employeur ne démontre pas la désorganisation de l'entreprise causée par ses absences, d'autant que son poste pouvait être rapidement occupé par un contrat à durée déterminé ou un intérimaire.

- que devant les agressions verbales de Monsieur R. à son égard, elle avait pris la décision de s'adresser à lui par courrier électronique.

- que concernant la non-intégration au sein de l'équipe qui lui est reprochée, le télémarketing étant un travail individuel, l'ambiance dans le service n'a aucune incidence sur la production et le résultats.

Madame X demande confirmation de l'ordonnance du Bureau de Conciliation du 21 novembre 2002 aux termes de laquelle la SOCIÉTÉ INNOMMÉE devait lui verser la somme de 1289,72 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis. Elle déclare que la SOCIÉTÉ INNOMMÉE a exécuté l'ordonnance en lui adressant un chèque en date du 27 novembre 2002.

La SOCIÉTÉ INNOMMÉE souligne le caractère réel et sérieux du licenciement de Madame X.

Elle rappelle que Madame X était chargée d'effectuer des opérations par émissions d'appels téléphoniques.

La SOCIÉTÉ INNOMMÉE soutient :

- que les absences répétées pour cause de maladie constituent un motif de licenciement lorsqu'elles perturbent l'entreprise et créent un préjudice à l'employeur.

- qu'en l'espèce, les absences répétées de Madame X ont fortement désorganisé l'entreprise en occasionnant du retard dans les études de marché.

- que ces retards empêchaient la société de respecter les délais envers les clients.

- que les clients se sont plaints de ces retards.

- que le recours aux contrats à durée déterminée n'était pas possible en raison du caractère inopiné des absences.

La SOCIÉTÉ INNOMMÉE reproche également à Madame X son comportement à l'égard de son supérieur hiérarchique auquel elle adressait de nombreux "mails" dans un langage familier, et à l'égard de ses collègues par son attitude malveillante et démotivée et son absence d'intégration au sein de la cellule télémarketing.

La SOCIÉTÉ INNOMÉE conclut au débouté de Madame X et formule une demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.


SUR CE

Sur le licenciement :

ATTENDU que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

"Par conséquent, nous entendons vous notifier par la présente, votre licenciement pour motif personnel.

Ces motifs se rapportent à vos absences répétées au sein de la cellule télémarketing qui désorganisent totalement le Département.

Vous avez été recrutée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 1er avril 2001 en qualité de Chargée d'Enquêtes suite à un contrat à durée déterminée de 6 mois.

Ce recrutement en poste fixe a été motivé par votre responsable hiérarchique par le fait que vous étiez fiable, ponctuelle et productive.

Il est à noter que vous étiez la première personne à être recrutée en poste fixe au sein du Département Télémarketing, preuve de la confiance que l'on vous portait.

Or, depuis votre recrutement en contrat à durée indéterminée votre comportement a totalement changé.

Vous êtes régulièrement absente pour cause de santé, absences justifiées par des arrêts maladie.
Sur les 6 derniers mois de l'année, vous avez été absente environ 1 mois.

Au sein d'une petite équipe, ces absences répétées pour maladie désorganisent le Département et impliquent des coûts supplémentaires.

En effet le responsable de la cellule a dû, pour faire face à votre absence, recruter 2 personnes en contrat à durée déterminée.

Innommé étant une petite structure répondant à des exigences de productivité très strictes, nous n'avons aucun autre poste au sein de notre société compatible avec votre état de santé.

Le Département Télémarketing s'engage auprès de ses clients sur des dates fixes pour la remise d'études téléphoniques. Des retards dus à des absences impliquent fatalement des pertes de marchés, donc des incidences sur le chiffre d'affaire de la société.

De plus, il est également à noter que vous envoyez régulièrement des mails à votre responsable hiérarchique, Monsieur Benjamin R., en lui faisant part de vos états d'âmes, de votre état de santé, de votre humeur changeante…

Enfin, nous ne pouvons que constater que, depuis votre embauche en contrat à durée indéterminée, vous n'avez pas su ou pas voulu vous intégrer au sein de l'équipe Télémarketing, certains refusant même tout contact entre vous.

En conséquence, nous n'avons d'autre choix que de vous licencier ".

 

ATTENDU que l'employeur allègue les absences de Madame X - absences qui ne s'élèvent d'ailleurs qu'à 21 jours sur les 6 derniers mois, et non à un mois comme le soutient l'employeur - pour justifier la désorganisation totale du Département Télémarketing de l'entreprise ;

ATTENDU que l'employeur soutient que ces absences ont eu pour conséquence des retards dans les études de marché, des plaintes des clients, des pertes de marché et une incidence sur le chiffre d'affaire de la société ;

ATTENDU cependant qu'aucun élément n'est produit à l'appui de ces allégations, ni sur la baisse du chiffre d'affaires de la société, ni sur les remises tardives des études, ni sur le mécontentement des clients, ni sur les pertes de marché ;

ATTENDU que la désorganisation du Département Marketing dans laquelle travaillait Madame X n'est nullement établie ;

ATTENDU que la SOCIÉTÉ INNOMMÉE invoque à la barre l'impossibilité de recours à un contrat à durée déterminée ou intérimaire pour pallier l'absence de Madame X, alors même que dans la lettre de licenciement il est fait état du recrutement de " deux personnes en contrat à durée déterminée pour faire face à votre absence " ;

ATTENDU qu'il n'est pas démontré que le poste de chargée d'enquête demande une formation et une connaissance approfondie des dossiers telles qu'il ne peut être confié à des salariés intérimaires ;

ATTENDU que, de plus, la SOCIÉTÉ INNOMÉE reconnaît dans la lettre de licenciement, n'employer, outre Madame X, que de chargés d'enquêtes en contrats précaires ;

ATTENDU que l'envoi de "mails" à Monsieur R. par Madame X n'a jamais été reproché à celle-ci auparavant et que le caractère sérieux de ce motif n'est pas démontré ;

ATTENDU que des attestations contraires produites par les parties, il n'apparaît pas que l'attitude de Madame X avec ses collègues soit de nature à perturber le fonctionnement du service et à justifier son licenciement ;

ATTENDU que pendant trois années et demi d'activité au sein de l'entreprise INNOMÉE, aucun reproche n'avait d'ailleurs été adressé à Madame X ni sur son comportement avec ses collègues et supérieur hiérarchique ni sur son activité professionnelle ;

ATTENDU qu'au vu de ces éléments, le Conseil juge le licenciement de Madame X dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

ATTENDU qu'en application des dispositions de l'article L 122-14-4 du Code du Travail, la salariée qui a plus de deux ans d'ancienneté et dont l'employeur occupe plus de onze salariés, a droit à une indemnité qui ne peut pas être inférieure aux salaires de six derniers mois d'activité ;

ATTENDU qu'en application de ce texte, Madame X peut prétendre à une indemnité pour licenciement qui ne saurait être inférieur à la somme de 7738,32 € ;

ATTENDU qu'au delà de cette indemnité minimale la salariée justifie d'un préjudice supplémentaire dans la mesure où, tout la reconnaissant " fiable, ponctuelle et productive ", son employeur a pris pour prétexte après trois années et demi d'activité sans reproches ni absences, les quatre arrêts maladie de trois à quatre jours chacun, absences sans conséquence pour la société, pour se séparer de Madame X ;

ATTENDU que ce licenciement particulièrement abusif et vexatoire justifie l'octroi à Madame X à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'une somme de 10320 €.

Sur les intérêts :

ATTENDU que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la présente décision.

Sur l'exécution provisoire :

ATTENDU que la demande d'exécution provisoire sera prononcée à hauteur de la moitié de la somme allouée.
Sur la confirmation de l'ordonnance du Bureau de Conciliation :

ATTENDU que le Conseil de Prud'hommes a rendu, lors de l'audience de conciliation du 21 novembre 2002, une ordonnance aux termes de laquelle la SOCIÉTÉ INNOMÉE devait payer à Madame X la somme de 1289,72 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis ;

ATTENDU que la SOCIÉTÉ INNOMÉE a immédiatement exécuté l'ordonnance, sans contestation ;

ATTENDU qu'il y a lieu de confirmer cette ordonnance.

Sur les dépens :

ATTENDU que la SOCIÉTÉ INNOMÉE supportera les dépens ;

ATTENDU que la SOCIÉTÉ INNOMÉE doit être déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Nouveau Code de la Procédure Civile.


PAR CES MOTIFS

Le Conseil de Prud'hommes de…, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort.

CONFIRME la décision du Bureau de Conciliation du 21 novembre 2002 ordonnant le paiement par la SOCIÉTÉ INNOMÉEà Madame X d'une somme de 1289,72€ à titre d'indemnité de préavis.

CONDAMNE la SOCIÉTÉ INNOMMÉE à verser à Madame X une somme de
10 320€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement.

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement à concurrence de la moitié de la somme allouée.

DEBOUTE Madame X du surplus de ses demandes.

DEBOUTE la SOCIÉTÉ INNOMMÉE de sa demande reconventionnelle.

CONDAMNE la SOCIÉTÉ INNOMMÉE aux dépens y compris ceux éventuels d'exécution du présent jugement. "

Justice était faite.

Grâce au Conseil de Prud'hommes (que je remercie de tout coeur) et à leur jugement objectif, j'avais retrouvé ma dignité de personne vis à vis d'Innommé qui m'avait toujours considérée comme un objet, un outil sans aucun droit.


La somme de 10320€ que la société devait me payer, tout en étant très intéressante, n'était certainement pas à la hauteur de toutes les injustices et les sévices moraux que j'avais subis et supportés pendant longtemps et des effets qu'elles avaient eu sur ma dignité et ma santé, mais la satisfaction morale que je ressentais était le plus important : maintenant je pouvais vraiment tourner cette longue page noire de ma vie.

La société m'a payée quelque jours après avec un chèque envoyé par courrier économique.


L'idée de faire appel ne leur a même pas traversé l'esprit : ils ne voulaient pas se faire ramasser une troisième fois.


Dans son paiement elle n'avait pas inclus les intérêts qui couraient depuis le 17 juin, environ 60€.
J'ai laissé tomber ça, je voulais mettre un point finale à cette histoire.
J'ai placé un peu plus que la moitié de la somme pour me créer une retraite complémentaire.


Avec le reste j'ai acheté un PC portable, j'ai renouvelé complètement ma garde-robe d'hiver, j'ai fait plein de cadeaux à mon mari et à ma famille, j'ai réservé une semaine de vacances en Autriche pour l'année prochaine et il me reste encore un peu d'argent.
Il faut dire que ça fait plaisir tout ça.

 

Comme je le disais au début de mon témoignage, mon histoire prouve qu'on peut sortir du harcèlement moral et se reconstruire entièrement, qu'il ne faut jamais désespérer, mais qu'il faut réagir, ne pas subir passivement et surtout s'ouvrir à ses proches pour ne pas sombrer dans la dépression.


J'avais peut-être besoin de mettre par écrit mon histoire pour pouvoir tourner définitivement la page, pour, après la justice et la satisfaction, pouvoir enfin oublier.


Maintenant c'est chose faite.

S.G.

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