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FR3, informations régionales le 31 mars 2003
Le harcèlement moral

Présentateur Thierry Bezer
FR3
Informations régionales (12-14) 13h15
Le 31 mars 2003 à Marseille

Le harcèlement moral est une réalité dans le monde de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, il est sanctionné. Un rapport du bureau national pour le travail place même la France en tête de ce type d'agression psychologique dont les répercussions sur les gens qui en sont victimes peuvent être dramatiques.

Reportage Annie Almarcha, Olivier Gerbi

Bien sûr il y a le code du travail, le code pénal, des sanctions prévues allant jusqu'à un an d'emprisonnement ferme dans le cas de harcèlement sexuel. Un employé doit établir des faits qui laissent présumer le délit de harcèlement, une mission impossible dans beaucoup de cas.

Denis Ferré, Avocat

Dans une entreprise de 4 à 5 salariés, il est difficile qu'un salarié vienne faire une attestation sinon il a de fortes chances d'avoir de petits problèmes même si je ne jette pas la pierre à l'employeur. Dans les grosses entreprises, le salarié arrive à se procurer des attestations parce que vous avez des gens qui sont des salariés protégés, délégués du personnel, représentants du personnel, membres du comité d'entreprise, qui vont venir apporter un témoignage qui va tendre à montrer qu'il y a eu effectivement du harcèlement.

reportage

Si les cas avérés de harcèlement ne sont pas courant, en revanche des incompatibilités d'humeur peuvent instaurer, dans un service, un climat exécrable. Exemple dans un institut pour enfant inadapté où les tensions existent depuis des mois.

Michel Deboeuf, Educateur

Le médecin du travail qui est venu me trouver au moment d'une visite et qui m'a dit : " il faut que je vous dise, on m'a demandé de vérifier, parce qu'on m'a dit que vous buviez, si vous étiez éthylique. "
Reportage

Au siècle des nouvelles technologies, c'est bien la communication entre les personnes qui semblent faire défaut. Le monde du travail échappe encore aux réflexions sur l'écoute, sur l'empathie.

Patrick Cohen, psychologue du travail

C'et du matériel explosif le groupe humain et il suffit de manquer un peu de doigter ou d'avoir des difficultés et très vite on va créer un dysfonctionnement. Je pense à des personnes qui sur le plan technique il n'y a rien à redire, sur le plan humain ont d'énormes difficultés à communiquer, à échanger avec leur personnel et du même coup ça fait des problèmes, des ordres abruptes, ça fait des non-dits, des avertissements, des comportements non répétés. Mais c'est pas parce que leur structure est perverse. Je fais une grosse différence entre des gens qui ont réellement une structure perverse.

Reportage A. Almarcha / O. Gerbi / P. Houdot

Souvent les psychologues permettent de rétablir le dialogue. Certains employeurs ont même compris l'intérêt d'une telle démarche et ne se méfie plus de ces professionnels de la parole.

Présentateur Thierry Bezer

Voilà, nous ont rejoints sur le plateau pour débattre autour de ce sujet, Fabienne Thuilliez. Bonjour ! Vous représentez l'association Solidarité Souffrances au Travail. Merci d'avoir accepté notre invitation. Maître Alain Guidi, vous êtes avocat au barreau de Marseille. Justement sur la définition, quand on se penche sur la définition, sur la définition du terme " harcèlement " on s'aperçoit que c'est très, très vague pour appréhender véritablement si quelqu'un en ait victime ou pas. Existe-t-il, de façon très concrète, des signes qui ne trompent pas ?

Maître Alain Guidi

Oui, le législateur, dans la loi de modernisation sociale en janvier 2002, a voulu laisser une part large au juge pour caractériser ces faits de harcèlement moral. Le texte parle d'agissements répétés, donc il faut que ce soit répété., en tout cas il faut que cela entraîne une dégradation des conditions de travail, donc c'est quelque chose de vérifiable. Par exemple si une personne voit son bureau supprimé ou les avantages liées à sa fonction supprimées également, c'est bien une dégradation des conditions de travail. Il faut ensuite, dit le texte, que cela entraîne également une dégradation sur son état de santé ou sur son cursus professionnel ou que ce soit encore une atteinte à sa dignité. Donc les signes avant coureurs, ce sont effectivement une modification dans les habitudes de son travail, constatée par le salarié.

Présentateur Thierry Bezer

Alors effectivement, concrètement quand on constate effectivement tous les signes évoqués, quelle est la marche à suivre pour le salarié qui effectivement se sent victime de ce type de harcèlement ?

Maître Alain Guidi

Plusieurs marches sont à suivre. Soit c'est un dialogue avec son employeur mais dores et déjà quand on en arrive à cette situation de faits, je pense que le dialogue va être difficile. Habilement le législateur a prévu un médiateur. On peut saisir un médiateur sur une liste qui est déposée à la préfecture et ce médiateur là aura ce rôle de médiation. Maintenant alors, la dernière solution c'est effectivement de déposer plainte, pour que ce soit constaté pénalement ou alors civilement, de saisir la juridiction compétente qui est le conseil des Prud'hommes.

Présentateur Thierry Bezer

Fabienne, vous avez été victime de harcèlement moral sur votre lieu de travail, quand on a été harcelé est-ce qu'on peut retourner sur ce même lieu de travail ou alors est-ce que les choses sont définitivement cassées ?

Fabienne Thuilliez, SST

Pour moi, c'est pas possible, ça fait trop peur. Je suis terrorisée à l'idée d'y retourner donc c'est pas possible et je comprends très bien les victimes qui me tiennent le même langage.

Présentateur Thierry Bezer

Pour vous, ça s'est traduit de quelle façon ce harcèlement moral ?

Fabienne Thuilliez, SST

De plusieurs façons. Ça a été plusieurs remarques désobligeantes, ça a été un non sens, surtout j'ai trouvé pas de sens pendant 8 mois, je me demandais ce qui m'arrivait, ça a été des refus mais pas vraiment directes, ça a été en fait une placardisation, surtout aussi, des humiliations je dirai détournées, pas directes, jamais d'insultes, jamais, mais toujours quelque chose où j'étais déstabilisée, où je n'étais plus reconnue en tant que professionnelle ou en tant que personne.

Présentateur Thierry Bezer

Ça s'est terminé comment ? par une dépression ?

Fabienne Thuilliez, SST

Ça s'est terminé effectivement les pieds devant, les pompiers sont venus me chercher, j'ai atterri à l'hôpital et effectivement, après, une longue dépression dont je suis sortie depuis septembre.

Présentateur Thierry Bezer

Vous avez saisi la justice ?

Fabienne Thuilliez, SST

J'ai saisi le tribunal administratif puisque je suis fonctionnaire mais je n'ai pas demandé le harcèlement moral. J'ai juste demandé, en fait, au niveau de ma note administrative et les propos que j'estimais diffamants à mon égard, qu'elle revienne dessus.

Présentateur Thierry Bezer

Le jugement a été rendu ?

Fabienne Thuilliez, SST

Non, ça fait un an que j'ai déposé le dossier !

Présentateur Thierry Bezer

Maître, il peut y avoir aussi et il ne faut pas s'en cacher, un abus du salarié qui, pour des raisons diverses et variées, peut avoir un intérêt à pourrir la situation. Accuser son employeur de harcèlement moral alors qu'il n'y a rien véritablement dans le dossier. Y a-t-il à un moment donné une analyse objective qui est faite ? Si oui, elle est effectuée par quel type de personne ?

Maître Alain Guidi

Effectivement, la question est intéressante parce que la loi de modernisation sociale vient d'être corrigée par le nouveau législateur et récemment il rétablit un équilibre dans la charge de la preuve. C'est maintenant au salarié d'établir les faits dont il s'estime victime et c'est à lui de faire cette 1ère étape et c'est seulement sur la base de ces documents qu'il pourra mener devant un tribunal, devant un conseil, que l'employeur devra justifier, ça peut être l'employeur mais ça peut être un autre salarié de l'entreprise, qu'on aura justifié que les faits, dont on s'estime victime le salarié, sont en fait des faits objectifs qui sont liés à l'évolution du travail dans la vie normale de l'entreprise. Donc c'est au salarié d'apporter la preuve, d'établir des faits dont il s'estime victime. C'est cette 1ère étape, ça constitue donc une barrière dans ce qu'on pourrait appeler un mode de harcèlement moral.

Présentateur Thierry Bezer

Fabienne, aujourd'hui vous militez au sein de l'association Solidarité Souffrances au Travail, un numéro de téléphone et un site Internet vont apparaître sur notre écran. On s'aperçoit finalement que beaucoup de personnes en sont victimes. Avant on n'en parlait jamais. Aujourd'hui on en parle un petit peu plus. Est-ce-que le travail associatif est lié au fait que c'est plus étalé sur la place publique, j'allais dire, ce qui est tout à fait positif d'ailleurs ?

Fabienne Thuilliez, SST

Il y a des personnes, que j'ai au téléphone, qui ont effectivement très honte, qui se cachent même de leur conjoint, qui arrivent à me parler à moi e t qui n'arrivent pas en fait à parler aux autres personnes, ni à leurs amis, ni à leur famille parce qu'elles ont vraiment honte. Notre association est une association uniquement de victimes - donc on sait ce que la victime peut ressentir parce qu'on l'a vécu - uniquement constituée de bénévoles - nous ne sommes absolument pas rémunérés pour cela, c'est du volontariat - nous travaillons avec les inspections du travail, les médecins du travail, avec les syndicats, tous les syndicats qui le souhaitent, les partenaires sociaux.
Mon rôle, au sein de cette association : je reçois beaucoup d'appels téléphoniques, des emails, au niveau des forums de discussions, j'interviens pour essayer d'aider les gens, donc je les écoute énormément mais je fais bien comprendre que je ne suis pas psychologue, ni avocat ni conseiller juridique, que je suis victime…

Présentateur Thierry Bezer

Vous leur conseillez, alors, d'aller voir un avocat ?

Fabienne Thuilliez, SST

Si elles le souhaitent, oui, tout à fait. C'est-à-dire que j'ai été amenée à aller à des audiences des Prud'hommes, à des audiences du tribunal administratif, pour soutenir des victimes qui passaient donc je suis allée les rejoindre. Je prends des contacts avec plusieurs avocats, je les entends plaider et je prends leurs coordonnées mais je ne conseille absolument personne en particulier. C'est vraiment la victime qui choisit.

Présentateur Thierry Bezer

Maître, on l'a vu dans le reportage, il y a beaucoup de textes qui mettent en évidence le harcèlement : droit du travail, mais aussi textes européens, droit privé… tous ces textes, ils vont finalement dans le même sens ou alors chacun aborde un cas très particulier ce qui complique bien évidemment l'affaire ?

Maître Alain Guidi

Dans l'ensemble, ces textes vont dans le même sens. Quelques différences entre des textes relatifs au droit pénal, certains vont sanctionner le harcèlement moral en dehors du travail et donc aggraver les sanctions, d'autres vont sanctionner à l'intérieur du travail et puis il faut savoir que si les textes sont multiples c'est que les sanctions sont multiples également. Quelqu'un qui va s'estimer victime de harcèlement moral, il a le choix de la voie pénale donc de déposer plainte pour que l'auteur….

Présentateur Thierry Bezer

Il risque quoi alors ?

Maître Alain Guidi

Il risque un an d'emprisonnement et 3500 euros d'amendes si les faits sont avérés, bien sûr, et il appartient au procureur de la république de poursuivre sur ces faits-là. Mais de manière plus logique également, celui qui est victime de harcèlement moral à l'intérieur du droit du travail, de son contrat de travail, va pouvoir saisir la juridiction prud'homale. S'il est victime d'un licenciement qui est injustifié, il en demandera la nullité et la réparation intégrale devant la juridiction prud'homale. Donc c'est vrai qu'on se plaint souvent de multiplication des textes mais à chaque fois, la situation est différente. On répond à une situation différente par un texte différent.

Présentateur Thierry Bezer

Vous avez repris le travail, Fabienne ?

Fabienne Thuilliez, SST

Non, j'ai demandé une mutation pour changer de lieu et j'ai demandé aussi un congé de formation qui m'a permis de me reconstruire.

Présentateur Thierry Bezer

Merci à tous les deux d'être venus sur le plateau.

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