La plaidoirie
d'un avocat dans le cadre
d'un harcèlement moral
(Phil qui a perdu son procès en appel)
remarques : les noms des villes et des personnes sont remplacées par des initiales quelconques ou des noms quelconques ou courants afin de conserver l'anonymat de la victime que nous appelons Jérôme (au lieu de M. XX ) afin de ne pas lui enlever sa dimension humaine.
Affaire Jérôme/Pain
N° R.G. : 00000
Plaise au Conseil,
RAPPEL DES FAITS
Monsieur Jérôme a été
embauché le 2 mai 1990 par la S. Pain (pièce 1).
Il travaillait précédemment dans une autre société
de Normandie. Début 1990, M. Pain, PDG s'était rendu dans cette
société et avait sollicité M. Jérôme pour
venir travailler à F. M. Jérôme avait accepté et
avait donc déménagé avec sa famille.
En mars 1995, la société Malod lui proposant un poste comparable,
mais avec un salaire supérieur, il donne sa démission.
Le ... novembre 1995 il est de nouveau embauché par la S. Pain, en
qualité de g.... Le gérant de la société était
Reconnaissant sa compétence, il lui avait proposé un salaire plus intéressant et maintenait son ancienneté. Son coefficient passe à ... (contrat de travail, pièce 2).
L'organisation du travail a changé fin 1995. L'autre g., M. SS, qui
était en poste alterné avec celui de Jérôme depuis
1990 est passé en journée et un salarié non formé
au réglage des machines l'a remplacé à ce poste. Ceci
a modifié la charge de travail de Jérôme.
Après plusieurs remarques verbales faites à son employeur sur
ses conditions de travail, Jérôme écrit, le ...octobre
1996, lettre d'explications sur le surcroît et les conditions pénibles
de travail (pièce 3).
En réponse, il reçoit une lettre d'avertissement datée
du ... novembre 1996.
Il lui est reproché de mal faire son travail (pièce 4).
Dans une lettre datée du ... novembre 1996, Jérôme conteste,
point par point, le contenu de la lettre d'avertissement (pièce 5).
Cette lettre n'aura pas de réponse.
Par contre, M. SS, conforté par la lettre d'avertissement, devient
plus arrogant pour Jérôme et instaure un climat conflictuel permanent
et humiliant, se permettant de lui faire des remarques désobligeantes
devant le personnel, et lui donnant des ordres par des signes ou des interjections.
Ce harcèlement moral est quotidien et Jérôme consulte
le Médecin du Travail et finit par faire une dépression nerveuse
sévère le ... février 1998 (pièces 6, 7 et 8).
Le ... mai 98, il reprend le travail. Le médecin du travail souhaite
le revoir après 15 jours.
Le ...juin 98, nouvelle visite médicale, le médecin du travail
le déclare apte, sous surveillance médicale (pièce 8).
L'attitude de ses responsables hiérarchiques ne change pas, et le ...juin
98, Jérôme est de nouveau en arrêt maladie.
Le ... août 98, il est averti que son licenciement est envisagé.
Le ... septembre 98, il est licencié parce que pour l'entreprise, il y avait la nécessité de pourvoir à son remplacement après plus de 6 mois d'absences répétées et prolongées (pièces 9 et 10).
Jérôme a saisi votre Conseil un an et demi après. Entre temps il a rencontré plusieurs médecins, généralistes et spécialistes pour essayer de se soigner et de tourner la page. Au bout d'un an, n'ayant toujours pas retrouvé d'emploi stable tenant compte de sa qualification, Jérôme a eu du temps pour monter son dossier et saisir le Conseil des Prud'hommes.
L'audience de Conciliation n'ayant pas abouti,
il y a eu :
Ø Audience de Jugement le ...janvier 2001,
Ø Audition de membres du personnel le ... avril 2001,
Ø Nouvelle audience de Jugement le ... mai 2001,
Ø Expertise du Professeur T. le ... novembre 2001
Ø Nouvelle audience de Jugement le ... avril 2002 qui débouche
sur l'audience de Départage d'aujourd'hui.
Je reviendrai sur les deux points qui semble faire problème :
Ø La demande de la Société Pain de sursis à statuer
Ø Le harcèlement moral subi par Jérôme
SUR LA DEMANDE DE LA SOCIETE PAIN DE SURSIS A STATUER
Mon contradicteur a demandé à votre Conseil de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision du Tribunal de Grande Instance suite à la plainte contre X de M. SS le 23 mai 2001.
Votre Conseil ne recevra pas cette demande pour les raisons suivantes :
· Cette demande aurait pu être formulée lors de l'audience
de Jugement du 31 mai 2001.
· Jérôme a saisi votre Conseil en mettant en cause son
employeur et non M. SS, entre autre, sur la base des articles suivants :
Ø Article L 230-2 du Code du Travail : " Le chef d'établissement
prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité
et protéger la santé des travailleurs de l'établissement
".
Ø Article L 120-2 du Code du Travail : " Nul ne peut apporter
aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives
de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché
".
Ø Article 1384 du Code Civil : " On est responsable non seulement
du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est
causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des
choses que l'on a sous sa garde. "
Ø Depuis la loi du 17 janvier 2002, ces articles sont renforcés
par l'article L 122-49 du Code du Travail : " Aucun salarié ne
doit subir les agissements répétés de harcèlement
moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions
de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à
sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou
de compromettre son avenir professionnel. "
· Si Jérôme avait voulu mettre en cause personnellement
M. SS, il aurait déposé plainte au Pénal. Il ne l'a pas
fait. Par contre, dans le cadre de son contrat de travail, il a informé
son employeur, supérieur hiérarchique de M. SS.
· Enfin, c'est bien l'employeur et non M. SS qui a été
convoqué à l'expertise du Professeur T.
Votre Conseil ne retiendra pas de connexité entre le dépôt de plainte de M. SS contre " X ", plainte basée sur l'expression
" dénonciations calomnieuses "
, et la saisine de votre Conseil par Jérôme à l'encontre de la S. Pain. Ce sont en effet deux affaires distinctes et l'expertise du Professeur T., confirmant les faits de harcèlement, rend caduque l'expression " dénonciations calomnieuses ".
L'employeur a eu pour le moins une attitude équivoque à l'égard
de Jérôme :
· Jérôme a été averti son employeur verbalement
et par courrier du ... octobre 1996 (pièce 3) de ce qu'il subissait.
Il l'alertait principalement :
Ø sur ses mauvaises conditions de travail et
Ø secondairement sur l'attitude de M. SS.
· Au lieu de proposer une rencontre entre les intéressés
et de rechercher de meilleures conditions de travail, l'employeur a répondu
par un avertissement sans justification en date du ... novembre 1996, avertissement
assorti d'une menace de licenciement (pièce 4)
· L'employeur n'a pas répondu à la lettre de contestation
de l'avertissement de Jérôme du ... novembre 1996 qui posait
des questions claires (pièce 5).
Il est resté dans l'inquétude. L'employeur a dérogé à ses obligations et a participé ainsi au harcèlement.
· A partir de fin 1996 jusqu'à son licenciement Jérôme
a continué de subir les conditions de travail signalées dans
son courrier du ... octobre 1996.
· Le ... juin 1998, M. Pain, connaissant la vulnérabilité
de Jérôme, l'a convoqué pour lui faire un flot de reproches
(voir expertise du Professeur T. page 4 § 3).
Le Nouveau Code Pénal insiste sur ce point :
· Article 245-14 : " Le fait de soumettre une personne, en abusant
de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance,
à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec
la dignité humaine est puni de deux ans d'emprisonnement et de 500
000 francs d'amende ".
· Dans leurs attestations, Mesdames Martin et Fournier affirment des
pressions permanentes et brimades de la part Jérôme et de M.
SS (pièce 14 et 14 bis).
· M. Dupont, conseiller principal à l'ANPE, le ... août
2000, mentionne
" la difficulté de Jérôme e retrouver un emploi par rapport à des difficultés importantes rencontrées avec une entreprise du secteur " (pièce 19).
· A l'audience du 31 mai 2001, la S. VV a fourni un certificat de travail
et une attestation d'embauche en CDD de Jérôme.
Ces pièces ont un caractère personnel. Les produire lors d'une audience publique, relève de la provocation, d'autant plus que Jérôme, pour justifier ses calculs de dommages et intérêts, fournissait les bulletins de paie de ses différents emplois.
· Le ... mai 2001, M. Pain transmet à Jérôme un
dépôt de plainte pour vol (pièce 27). Encore une suspicion,
une pression en direction de Jérôme, un harcèlement qui
se poursuit.
Ce n'est pas M. SS qui est mis en cause devant votre Conseil, mais M. Pain, qui dispose du pouvoir de Direction et qui continue de tourmenter Jérôme.
SUR LE HARCELEMENT MORAL SUBI PAR Jérôme
Je ne reviendrai pas sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse sur lequel s'est prononcé votre Conseil lors du jugement du ... juin 2001, ni sur l'attitude complice de l'employeur par rapport à Jérôme.
En premier lieu, je m'en tiendrai au harcèlement moral décrit dans le rapport d'expertise du Professeur T. Puis, je reviendrais sur les attestations et déclarations du personnel.
1 - Les conclusions du Professeur T. confortent
bien le harcèlement dont Jérôme a fait l'objet.
Son rapport d'expertise fait mention des déclarations de M.Pain, de
Jérôme et du Docteur Tauvier.
Sur les déclarations de Jérôme. (pages 2 à 4 de l'expertise médicale)
Votre Conseil comprendra combien il en a pu coûter à ce dernier
de parler de sa vie privée, et en particulier de son enfance, devant
son employeur. Ses déclarations sur son histoire professionnelle reprennent
en résumé ce qui a été dit lors des audiences
précédentes.
Sur les déclarations de M. Pain (page 5 de l'expertise médicale)
Il affirme qu'à partir de la maladie de son frère Maurice,
il " a confié des fonctions plus étendues à M. SS et a délégué les responsabilités du travail technique à ce dernier. Ce fait a été mentionné à Jérôme. "
Il n'en apporte pas la preuve et ne dit pas que M. SS est chef d'atelier. Avoir des responsabilités techniques ne nécessite pas d'être chef d'atelier.
Pourtant, la lettre de Jérôme du ... novembre 1996 (pièce
5) demandait une réponse claire et écrite à l'affirmation
" il ne m'et pas fait référence que j'ai un chef d'atelier auquel je dois rendre compte de mon travail, et qu'à ce jour, je ne suis pas averti officiellement que je suis ou la responsabilité de quelqu'un à part vous, M. Pain. "
Devant le Professeur T., M. Pain, entre dans la vie personnelle et intime
de Jérôme.
" Il estime que Jérôme est procédurier et fait état de rumeurs qui circuleraient ".
L'objet de ces rumeurs qui portent sur la vie privée de Jérôme est sans fondement.. Il est facile de faire courir des rumeurs pour nuire à quelqu'un. Et comme le soulignent les spécialistes, la plupart du temps, la rumeur fait le nid du harcèlement.
Sur les déclarations du Docteur Tauvier. (page 5 de l'expertise médicale)
Votre Conseil notera le désaccord du Professeur T. sur l'interprétation
du Docteur Tauvier, Généraliste (page 9 de l'expertise médicale).
2 - Les attestations et déclarations du personnel demandent quelques rappels et précisions.
Attestations fournies par Jérôme
(pièces 12 à 14 bis)
Messieurs Ferdinant et Poussicat, Mesdames Lane et Roman, ont attesté,
à la fois, du surcroît de travail de Jérôme, et
des pressions qu'il subissait de Messieurs SS et Pain.
Attestations fournies par la S. Pain (pièces VIA JURIS)
Il y a d'abord des attestations de complaisance de personnes en lien de subordination
par rapport à l'employeur, attestations, pour la plupart, datées
du ... novembre 2000
Ø Madame Cave :d'une part, elle est du poste opposé à
celui de Jérôme d'autre part, elle est en congé maternité
puis en congé parental d'éducation au moment des faits.
Ø Madame Gourde : elle aussi est du poste opposé à celui
de Jérôme.
Ø Monsieur Sylain : il travaillait exclusivement sur le poste de nuit.
Ø Mesdames Modovare et Mafemme : elles travaillent au pliage, pas aux
métiers. De leur lieu de travail, elles ne peuvent pas constater un
harcèlement
Ø Monsieur Rougegorge : il n'est plus salarié de l'entreprise
les 4 derniers mois précédents la déprime de Jérôme.
Ø Madame Moulinrose : elle travaillait dans les bureaux et ne pouvait
pas voir ce qui se passait à l'atelier.
Deux salariés ont été
auditionnés le 26 avril 2001 :
Madame Tunifre a affirmé
Ø " Dans la société, il y avait deux g. plus M.
SS. J'ignore si M. B. était gareur. "
En fait, M. B. n'était pas g., on comprend le surcroît de travail de Jérôme qu'il a signalé dans sa lettre du 19 octobre 1996 (pièce 3)
Ø " Je n'ai jamais été témoin d'attitude
humiliante de M. SS à l'encontre de Jérôme. "
Il ne faut pas oublier que le harcèlement est en général une pratique invisible.
Ø " Il n'y a plus de problème de caméra.
" Effectivement ces caméras ont été supprimées à la suite d'une visite de Jérôme à la D.D.T.E. après à son avertissement.
M. SS a déclaré :
Ø " Jérôme est g. régleur. "
C'est faux.
Jérôme est contremaître tout comme lui avec le même indice (voir bulletin de paie d'août 1996 et lettre de licenciement)
Ø " Je confirme avoir déposé plainte pour dénonciation
calomnieuse ".
Il a repris ce jour ce qu'il avait écrit
6 mois avant dans son attestation du 10 novembre 2000 (pièce 17 VIA
J.). Malgré qu'il ait prêté serment avant son audition,
nous avons la preuve que son affirmation est fausse puisse que la plainte
n'a été déposée que le 23 mai 2001, soit un mois
après son audition (pièce 26).
Votre Conseil ne peut prendre au sérieux ses attestations et déclarations.
Depuis le ... février 2002, la COTOREP a reconnu à Jérôme
sa qualité de travailleur handicapé (pièce 28), reconnaissance
confortée depuis par l'expertise du Professeur T. qui apprécie
l'état séquellaire actuel de Jérôme à 15
% d'Invalidité Partiel Permanente (IPP).
Au vu des attestations deMessieurs Ferdinant et Poussicat, Mesdames Lane et Roman, de l'attestation et des déclarations mensongères de M. SS, de l'attitude de l'employeur, de la reconnaissance COTOREP et de l'expertise du Professeur T., nous demandons que soit reconnu le fait du harcèlement moral à l'égard de Jérôme.
Depuis la fin de son contrat à durée déterminée chez Findop Mild, le 12 octobre 2001, Jérôme n'a pas retrouvé de travail. Il ne touche donc que les indemnités ASSEDIC. Pour chiffrer les dommages et intérêts, il a refait son calcul de détails des salaires perdus en incluant le premier semestre de l'année 2002.
Mon contradicteur, comme il l'a fait précédemment, affirme que " M. SS était le supérieur de Jérôme.
" Il essaie de déplacer le problème et ce qu'il annonce n'est pas prouvé. En effet :
· Les bulletins de paie de Messieurs Jérôme et SS indiquent
la même qualification : contremaître ", et le même
coefficient de 310.
· La lettre d'avertissement du ... novembre 1996 signale l'obligation
de respecter les directives données, mais n'indique pas par qui sont
données ces directives.
· La demande de Jérôme dans sa lettre du ... novembre
1996 était claire (pièce 5) :
" il ne m'est pas fait référence que j'ai un chef d'atelier auquel je dois rendre compte de mon travail, et qu'à ce jour, je ne suis pas averti officiellement que je suis sous la responsabilité de quelqu'un à part vous, M. Pain. "
Cette demande aurait dû entraîner une réponse claire et écrite. Elle est restée sans réponse.
· Certes des salariés de qualification inférieure à
celle de Jérôme, parlent de " chef d'atelier " à
propos de M. SS. Mais dans une petite structure de moins de 30 salariés
dont les personnes qui travaillent à la fabrication sont en poste alterné,
le contremaître est souvent appelé " chef ".
Par ailleurs, mon contradicteur signale que
" Jérôme a retrouvé un emploi dès le mois d'octobre 1999. La société Pain ne saurait être tenue responsable du fait que Jérôme n'ait pas donné satisfaction à son nouvel employeur".
Encore une affirmation dévalorisante à l'encontre de Jérôme.
Chez SGenre Marcel, Jérôme était en C.D.D. de 2 mois ½
pour le montage d'un atelier supplémentaire de tissage. Il savait parfaitement
que son contrat était lié à une tâche très
précise et limitée dans le temps. S'il n'avait pas donné
satisfaction à son nouvel employeur, il aurait été licencié
avant la fin du contrat.
La situation professionnelle, sociale et l'aggravation de l'état de
santé de Jérôme sont des conséquences de l'attitude
de son employeur.
Compte tenu de tout ce qui vient d'être
développé et en particulier de l'expertise du Professeur T.,
et du chômage encore actuel de Jérôme, nous demandons que
le Conseil de Prud'hommes déclare que l'employeur a commis une faute
inexcusable et condamne la Société Painà payer à
Jérôme :
au titre de :
dommages intérêts pour harcèlement moral
sur le lieu de travail 347 000 F - 52 900 €
coût de l'expertise du Professeur T. 2 700 F - 412 €
application de l'article 700 du N.C.P.C. 3 000 F - 457 €
(voir factures d'avocat (pièce 22)