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Témoignage de Fabienne

fin nov. 2004

Je suis venue habiter Marseille en novembre 1991. J'avais accouché dans l'Hérault où j'habitais, de mon 2ème fils qui avait trois mois.

J'avais gardé ma gynécologue, mais au bout d'un an je me suis décidée à en chercher un près de chez moi.

Le dr U. était un homme charmant d'origine cambodgienne. Comme mon mari avait des origines similaires, nous avions sympathisé.

Je le trouvais doux ce qui me changeait de ma gynécologue un peu rude de Béziers.

Je l'ai consulté 6 fois avant d'y aller pour la 7ème fois début 1993.

M'a-t-il regardé me déshabiller ? Je ne saurais le dire. A-t-il mis des gants pour m'osculter ? Je ne le pense pas mais je ne peux affirmer le contraire.

J'avais un petit bouton mal placé qui me faisait souffrir. Il m'a dit qu'il fallait que je maintienne des compresses dessus et que c'était important car si jamais le bouton venait à percer sans compresse, cela pouvait passer dans le sang et m'empoisonnait.

J'étais très impressionnée et ce d'autant plus que je ne voyais pas comment faire tenir une compresse dans un pareil endroit de mon anatomie.

J'étais très inquiète en pensant que je risquais de m'empoissonner et c'est sans doute pour cette raison que je ne me souviens pas s'il avait mis des gants ou pas.

En fait, il m'avait mise en condition de vulnérabilité.

Puis il m'a osculté en introduisant un doigt (au lieu de deux) dans mon vagin. Cette examen médical me provoquait des sensations bizarres et gênantes. Je lui ai donc demandé ce qu'il faisait.

Il m'a répondu qu'il était en train de nettoyer les parois de mon vagin. Je me souvenais avoir eu un retour de couche hémorragique dû à un reste de placenta resté collé sur la paroi après l'accouchement et j'ai trouvé sa réponse crédible même si j'avais dû subir un curetage plus d'un an plus tôt.

Il ne cherchait rien, ni tumeur cancéreuse, ni anomalie organique, il voulait juste, me disait-il, me nettoyer. Je ne lui ai pas posé la question parce qu'il était médecin. S'il faisait ainsi c'est qu'il avait ses raisons. Je n'avais pas à les contester. Pourquoi aurai-je mis sa parole en doute ? Je n'avais aucune raison.

Quand je me suis rendue compte que ses mouvements le long de ma paroi m'excitaient sexuellement - ce que je n'avais jamais ressenti auparavant avec un gynécologue - j'ai éprouvé de la honte !
Non pas sur lui, mais sur moi.
J'ai serré les dents, je me suis raidie aussi fort que j'ai pu parce que j'étais terrifiée à l'idée que j'allais jouir devant lui de son geste que je croyais encore à ce moment-là " médical ". J'aurais été ridicule et ma réaction érotique aurait été tellement déplacée !


J'ai essayé de tenir le plus longtemps possible. Quand j'ai compris que je ne pouvais plus résister à cette excitation sexuelle au bout de 10 mn (mais peut-être plus) j'ai pris mon courage à deux mains pour lui demander :

"Pouvez-vous arrêter, s'il vous plait, je ne peux plus le supporter".


Il m'a regardé l'air étonné et contrarié. Il a aussitôt arrêté. Il m'a dit que c'était dommage car c'était dans mon intérêt. Et je l'ai cru.

Comme je m'en voulais d'avoir pu éprouver du plaisir sexuel ! Comme je me suis sentie honteuse et coupable de lui avoir demandé d'arrêter !

Puis il est venu sur mon côté droit et a pris ma tension. Celle-ci ne l'a pas satisfaite alors il est passé de l'autre côté pour me la prendre au bras gauche. Apparemment il y avait un problème.

Couchée sur la table d'oscultation, j'étais à hauteur de sa taille. Il n'était pas grand du tout.

Lorsqu'il a posé mon bras droit sur son sexé érigé (bien dur) et qu'il l'a frotté contre à plusieurs reprises, j'ai compris.

Il se masturbait avec sans mon consentement.

J'étais atterrée ! Je l'ai laissé finir. Que devais-je faire ?

Le giffler ? J'étais allongée, à moitié dévêtue, les jambes en l'air !

Je me suis sentie trahie et humiliée.

J'ai eu très, très honte et j'étais comme morte. Je n'ai plus bougé.

Quand il a eu fini au bout d'une minute, je me suis rhabillée en essayant d'être le plus normal possible. Je n'ai plus ouvert la bouche. Il m'a prescrit ces fameuses compresses.

Je suis allée dans le secrétariat médical pour payer car je ne voulais pas être traitée de voleuse surtout devant les clientes qui attendaient dans la salle d'attente.

J'ai parlé à la secrétaire. Je ne savais pas comment lui dire, ni comment la mettre en garde, je me suis contentée de lui poser des questions dirigées. Mais il était correcte avec elle, pas de harcèlement sexuel.

Je suis allée à la pharmacie et comme je connaissais bien les pharmaciennes, j'ai déballé mon histoire.

Elles n'en revenaient pas. Il avait la réputation d'être un chaud lapin mais pas dans son cabinet !

Elles me dirent qu'elles ne le conseilleraient à plus personne.

J'ai parlé avec mes amies du quartier, toutes mamans d'enfants du même âge que les miens. L'une d'elle était cliente du dr U. mais il ne s'était jamais rien passé. Personne n'avait rien entendu de tel non plus.

Apparemment, il avait craqué pour moi. Mais si au moins, j'avais eu le choix de dire non ! S'il m'avait invitée au restaurant ou autre, j'aurais pu refuser gentiment mais fermement !

J'ai dû subir les attouchements sexuels qu'il m'a imposé par surprise !

Mais comme j'étais apparemment la seule personne à lui avoir "fait perdre la tête" je me suis sentie affreusement coupable. Je cherchais pourquoi. Qu'est-ce qui, dans mon comportement, paroles, avaient pu lui faire croire que j'étais attirée par lui et qu'il pouvait se permettre ces gestes déplacés ?

J'en ai parlé à mon mari mais voilà, "un médecin c'est intouchable". Qui me croirait ? Quelles preuves avais-je ?

C'était ma parole contre celle d'un médecin !

J'ai changé de gynécologue pour un autre du même quartier. Je lui ai raconté mon expérience avec son confrère. Mon récit lui a tiré un sourire. J'étais dégoutée.

Je suis allée consulter une femme gynécologue à qui j'ai raconté mon histoire. Elle m'a dit : "ça arrive dans la profession !"

Ce qu'elle a dit m'a soulagé. Je me suis sentie moins coupable, moins honteuse. J'étais salie mais ce n'était pas de ma faute.

Personne n'a rien fait et les années ont passé.

Sa femme a remplacé la secrétaire médicale. D'après la pharmacienne, elle le surveillait.

Je l'ai rencontré,un jour, dans la rue. Nos regards se sont croisés. Nous marchions en sens inverse. Il m'a souri. Je lui ai lancé un regard méprisant.

Fin janvier 2002, ma voisine du 6ème est venue me chercher pour aller voir la voisine du rez-de-chaussée qui recevait tous les jours le journal. Un article relatait des faits similaires aux miens de la part d'un gynécologue du 10ème arrondissement de Marseille. D'après mes voisines et amies, cela ne pouvait être que le dr U. Mon amie du 6ème se rappelait très bien ce que je lui avais dit des années auparavant !

J'ai parcouru l'article rapidement et j'ai lu que les enquêteurs (de la police) lançaient un appel à témoin.

Je venais de déposer quelques jours plus tôt une requête au tribunal administratif pour harcèlement moral, toute seule, sans avocat. J'entrais involontairement dans un processus de décompensation psychique. J'étais en arrêt maladie depuis presque deux mois et j'avais de plus en plus de mal à sortir de chez moi.

J'ai téléphoné au commissariat et on a refusé de me donner le nom du médecin arrêté.

J'ai fini par m'y rendre la semaine suivante. J'ai réussi à conduire ma voiture. Ce n'était pas évident mais j'étais déterminée à aider cette jeune victime qui osait porter plainte.

J'ai raconté mon histoire à un inspecteur. Mon but était d'aider cette victime de 18 ans. Toute seule, elle n'avait guère de chance. Qui la croirait ?

L'inspecteur me dit qu'il y avait déjà 12 victimes de connues. Une des victimes avait porté plainte trois ans auparavant mais il y avait non lieu car pas assez de preuves et il avait pu continuer à exercer en toute quiétude et abuser de ses patientes !

Je n'ai pas pu me rappeler précisément à quelle date cette histoire m'était arrivée. Or c'était important à cause de la prescription de 10 ans. Par rapport à ma déclaration, j'ai supposé que 9 ans à 9 ans et demi me séparaient des attouchements.

Au bout de deux heures d'interrogatoires, le policier m'a dit que si je voulais aider cette victime de 18 ans, je devais déposer plainte pour viol avec surprise de la part d'une personne ayant abusé de l'autorité qui lui conférait ses fonctions.

Un viol ?

 

 

La définition pénale du viol s'appliquait bien à ce que j'avais subi. Je ne voulais pas porter plainte. Je ne me sentais pas en état de le faire et je ne voulais pas prendre un avocat.

Le policier me certifia que je n'avais pas besoin d'avocat et que si je me contentais d'apporter mon témoignage sans porter plainte pour viol, ça ne servait à rien, je n'aiderai pas la dernière victime.

J'étais si fatiguée et je voulais vraiment l'aider car je m'étais sentie tellement seule en 1993.

J'ai signé ma plainte pour viol.

Je suis sortie en larmes. Je n'avais pas besoin de cette affaire.

L'inspecteur me téléphona quelques jours après pour me dire que le dr U. avait avoué. J'étais soulagée pour la plaignante. Le hic c'est que le policier me conseillait désormais de prendre un avocat. Je lui "extorquais" une adresse. J'étais paniquée car je ne voulais pas qu'on puisse mettre ma parole en doute et je savais que je n'allais pas m'en remettre si on essayait de me traîner dans la boue en mettant en doute ma bonne foi. Je n'étais pas en état d'affronter un autre déshonneur. J'avais besoin d'un avocat pour me défendre et me soutenir contre la partie adverse prête à tout pour défendre son client. J'avais peur de m'effondrer en plein tribunal.

J'ai pris rendez-vous chez un avocat de la rue St Fé. Il m'a demandé 11 000 francs plus un pourcentage sur les dommages et intérêts éventuels. Affolée j'ai appelé mes parents devant lui. Ils étaient prêts à me prêter la somme. J'ai demandé à réfléchir et je suis partie.

Je suis rentrée chez moi par le bus, dans un état second. Une migraine affreuse et la nausée. Je n'avais pas pris d'avocat pour mon dossier récent de harcèlement moral et là, j'allais dépenser une grosse somme (que je n'avais pas), pour une histoire vieille de 9 ans en arrière. Mon humiliation était avalée, digérée !

Un ami policier m'a conseillé de retirer ma plainte par lettre en recommandé en AR au procureur, ce que j'ai fait.

Le procureur m'a répondu qu'il gardait ma déposition en tant que témoignage.

Le procès débute début décembre 2004 aux assises. J'ai peur de devoir raconter à des inconnus mon humiliation et de revoir celui qui me répugne tant.

J'ai peur mais j'irais. Je revivrais ma honte. Tant pis ! Nous sommes 13 victimes et aucune n'habite au même endroit.

Il faut arrêter ce genre de comportement. Je pense qu'il est sans doute malade. C'est pour cela qu'il m'est difficile de le haïr mais en tant que médecin, il aurait dû se faire soigner !

Si je me suis décidée à porter mon témoignage ici, c'est pour aider d'autres personnes qui seraient victimes comme moi d'abus et qui se sentent coupables.

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